Non-lieu dans l'enquête sur la mort d'Ali Ziri
Vie et mort d'un chibani, c'était le titre d'un excellent documentaire de France Inter consacré à Ali Ziri, un retraité algérien de 69 ans, décédé à l'hôpital le 11 juin 2009, deux jours après son interpellation par la police à Argenteuil. Trois ans plus tard, le juge d'instruction vient de rendre une ordonnance de non-lieu dans l'enquête sur ce décès, estimant qu’aucune charge ne pouvait être retenue contre les policiers et l’hôpital.
Une information judiciaire avait été ouverte en 2009 pour « homicide involontaire et violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner par personne dépositaire de l'autorité publique ». En décembre 2011, le procureur de la République de Pontoise avait requis un non-lieu, qu'a donc suivi, le 15 octobre 2012, Jean-Marc Heller, le vice-président chargé de l'instruction au tribunal de grande instance de la même ville. Selon l'ordonnance de Jean-Marc Heller, l'enquête « n'a établi aucun acte de violence volontaire qui aurait été la cause directe ou indirecte du décès de M. Ali Ziri, ni aucune faute directe ou indirecte imputable à quiconque qui aurait involontairement causé sa mort ».
Une expertise, ordonnée par le même Jean-Marc Heller, avait pourtant conclu en avril 2011 que l'arrêt cardiaque d'Ali Ziri était lié à « un épisode hypoxique (une diminution de la quantité d'oxygène apportée aux tissus - ndlr) en rapport avec les manœuvres d'immobilisation et les vomissements réitératifs ».
Confirmant ainsi un précédent rapport médico-légal, réalisé en juillet 2009 par l'ancienne directrice de l'institut médico-légal de Paris, qui indiquait qu'Ali Ziri, fortement alcoolisé ce soir-là, était décédé « d'un arrêt cardio-circulatoire d'origine hypoxique par suffocation multifactorielle (appui postérieur dorsal, de la face et notion de vomissements) ». Cette autopsie avait en effet montré une vingtaine d'hématomes sur le corps d'Ali Ziri, pouvant « correspondre à des lésions de maintien », ainsi que des signes d'asphyxie mécanique des poumons.
« Les conclusions de ces deux expertises sont complètement ignorées dans l'ordonnance de non-lieu, remarque Me Stéphane Maugendre, l'avocat des proches d'Ali Ziri, qui vivent en Algérie. On se demande bien pourquoi on ordonne des expertises, qui plus est confiées aux experts français les plus chevronnés, pour ensuite ne pas en tenir compte. » Pour l'avocat, c'est la technique policière du pliage, consistant à plaquer le torse du prévenu sur ses genoux en exerçant une pression, « qui est à l'origine de l'asphyxie ayant conduit au décès d'Ali Ziri ».
Au cours de leurs auditions par l'IGPN, les policiers d'Argenteuil avaient reconnu avoir utilisé cette technique durant le trajet vers le commissariat pour contenir Ali Ziri et Arezki Kerfali, son ami de 61 ans également arrêté quelques minutes plus tôt en état d'ivresse. « Face à l'agitation de M. Ziri, je me suis retournée, dos à la route, les genoux sur le siège, j'ai attrapé M. Ziri sous l'aisselle gauche, avait expliqué ainsi une gardienne de la paix lors de son audition par l'IGPN. Il ne se laissait pas faire, j'ai fait pression en le maintenant, sa tête plaquée sur les genoux. Je l'ai maintenu ainsi en mettant les deux mains au niveau de chacune de ses aisselles, mon pouce vers l'intérieur de ses aisselles, et en faisant pression vers le bas. » Cette technique d'immobilisation est pourtant formellement interdite depuis qu'elle a causé, en janvier 2003, la mort d'un jeune Éthiopien expulsé par la police aux frontières (PAF).
Arrivés à 20 h 46 au commissariat, à l'intérieur duquel ils avaient dû être portés par les policiers, les deux hommes n'avaient été conduits à
l'hôpital que vers 22 heures, lors de la relève. Dans un avis de mai 2010, la Commission de déontologie avait considéré « inhumain et dégradant » le fait d'avoir
laissé les deux hommes « allongés sur le sol du commissariat, mains menottées dans le dos, dans leur vomi, à la vue de tous les fonctionnaires de police présents qui ont constaté
leur situation de détresse, pendant environ une heure ».
Ali Ziri, un chibani qui avait travaillé pendant près de trente ans comme manutentionnaire à Argenteuil, était revenu passer quelques jours en France pour
effectuer des achats avant le mariage de son fils, en Algérie. Lui et son ami Arezki Kerfali avaient descendu plusieurs verres dans l'après-midi pour fêter l'événement.
Accusé de conduite en état d'ivresse et d'outrage à policiers, Arezki Kerfali doit d'ailleurs comparaître jeudi 18 octobre devant le tribunal correctionnel de
Pontoise. Il lui est notamment reproché d’avoir traité les fonctionnaires de « chiens de Sarkozy ». Également avocat d'Arezki Kerfali, Stéphane Maugendre a demandé le
report de l'audience, plusieurs procès-verbaux semblant manquer au dossier.
« Tout cela est une mascarade, s'indigne Arezki Semache, membre du comité vérité et justice pour Ali Ziri. Malgré trois ans
d'enquête (sur la mort d'Ali Ziri - ndlr), il n'y a pas eu de reconstitution des faits, pas d'audition des policiers par les juges d'instruction, qui n'ont pas non plus jugé
utile d'entendre certains témoins, qui, dans leur déposition à l'IGPN, avaient vu des scènes choquantes au sein du commissariat. »
Un jeune homme en garde à vue le 9 juin 2009 au commissariat d'Argenteuil avait en effet affirmé avoir été témoin de la scène suivante. « L'un des
policiers est venu vers cet homme (Arezki Kerfali - ndlr) et il a posé son pied sur la tête du Monsieur et lui a dit une phrase du genre “Tu vas essayer”, il fait bouger la
tête en appuyant avec son pied comme on pourrait le faire avec une serpillière, avait-il expliqué, entendu par l'IGPN le 11 décembre 2009. C'est comme s'il voulait lui faire
essuyer son vomi avec sa tête. »
Me Stéphane Maugendre a fait appel du non-lieu auprès du Tribunal de grande instance de Pontoise. Dans un courrier au juge d'instruction en novembre
2011, l'avocat avait rappelé la jurisprudence européenne. « Lorsqu’un individu est placé en garde à vue alors qu’il se trouve en bonne santé et qu’il meurt par la suite, il incombe à
l’État de fournir une explication plausible sur les faits qui ont conduit au décès », avait indiqué la Cour européenne des droits de l'homme dans un arrêt en date du 1er
juin 2006. Les proches d'Ali Ziri attendent toujours cette « explication plausible ».
SOURCE / MEDIAPART