À Aubervilliers, la crise frappe plus fort dans les zones urbaines sensibles

 


 

20 % de chômeurs, soit plus du double de la moyenne nationale, 35 % de la population habitant en HLM, 54 % de ménages non imposables (chiffres INSEE, 2009), bienvenue à la ZUS (zone urbaine sensible) Villette - Les Quatre Chemins. Ce « quartier difficile » de 30 000 habitants, à cheval sur les communes d’Aubervilliers et de Pantin, en Seine-Saint-Denis, fait partie, avec 750 autres à travers le pays, des territoires les plus touchés par les difficultés économiques. Trente-six de ces ZUS sont d’ailleurs dans le département et deux d’entre elles sur la commune d’Aubervilliers.

 

 

 

Pourtant sur place, les chiffres alarmants qui ressortent du nouveau rapport de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus), remis ce vendredi au ministre de la Ville, ne semblent étonner personne. Dans cette commune adjacente à la capitale, la crise économique actuelle, tout le monde en a entendu parler mais personne ne semble avoir souvenir d’un temps où la vie était facile. Toutefois, si l’on creuse un peu avec les habitants du quartier, on s’aperçoit que les difficultés n’ont fait que croître ces dernières années, sans qu’aucune politique de la ville ne résorbe quoi que ce soit.

« ZUS, quartiers chauds, banlieue, on peut appeler cela comme on veut, mais il n’y a pas besoin d’avoir fait Polytechnique pour comprendre qu’ici, quand il y a une crise, on se la mange en pleine tronche bien plus fort qu’ailleurs », explique Ibrahim Camara, un assistant cuisinier de 26 ans, à la sortie des bureaux de Pôle Emploi. Si les rues d’Aubervilliers semblent désertées en pleine semaine dans cette partie de la ville, la queue au guichet de la rue de Presles ne désemplit pas. Que ce soit pour imprimer un CV, consulter la liste famélique d’offres d’emploi ou faire régulariser une situation afin de toucher ses droits au chômage, la vie de quartier passe par cette antenne de l’administration française. Les gens se connaissent et discutent en attendant parfois plus d’une heure d’être reçu.

« C’est bien simple, autour de moi dans la cité, je peux compter sur les doigts d’une main ceux qui ont un travail fixe et stable », assure Ibrahim Camara. Et pourtant, ce volontaire dans une association d’insertion de la jeunesse du quartier connaît pas mal de monde à en juger par le nombre de mains qu’il serre pendant notre entretien. Invariablement, les réponses à la question rituelle « Ça va la famille ? » obtient la même réponse « Comme çi, comme ça… »

« Moi, je trouve encore des contrats d’un jour ou deux à droite à gauche, car je me suis fait un réseau depuis huit ans que je travaille, mais pour les plus jeunes, c’est compliqué. Comment voulez-vous qu’ils y croient encore quand ils voient que l’on ramène 40 euros à la fin de la journée alors qu’en faisant des bêtises, ils peuvent gagner trois fois plus, c’est démotivant. » Lui-même avoue avoir longtemps vécu de ce genre de « bêtises » avant de recevoir une formation de cuisinier instaurée par la Protection judiciaire de la jeunesse. Avec un enfant à nourrir, il sait qu’il doit trouver au minimum trois journées de travail par semaine pour payer les courses et le loyer. Sa femme et ses parents ont encore plus de mal à trouver un emploi.

 

 

« C'est pas gagné »

Selon le rapport de l’Onzus, les femmes et les travailleurs de plus de 50 ans, jusqu’alors plus épargnés que les jeunes hommes, sont fortement concernés par cette augmentation du chômage dans les ZUS depuis 2010. Au Pôle emploi de la rue de Presles, les femmes sont d’ailleurs nombreuses ce mardi après-midi à attendre d’être reçues par un conseiller. Désirée Yankoua, une auxiliaire de vie de 31 ans, explique que beaucoup de ses amies, collègues et voisines sont au chômage. « Mon métier devient de plus en plus précaire. Les personnes âgées n’ont plus de quoi se payer ce type de services à domicile, surtout par ici. On essaye toutes de se reconvertir afin de trouver un poste dans le public comme aide-soignante ou infirmière à l’hôpital. Mais ce n’est pas évident, il y a du monde sur les rangs. »

Car si tous les secteurs sont touchés, le privé l’est encore plus. « En venant de banlieue, on avait déjà pas trop la tête de l’emploi, mais avec la crise, c’est fini, enchaîne Farid*, 24 ans, qui vient d’être licencié de son poste de vendeur en téléphonie. Il n’y a aucune offre au Pôle emploi, mais il ne faut pas croire que les jeunes ici se tournent les pouces en attendant que le travail leur tombe dessus. Moi, je passe toutes mes journées dans Paris à démarcher les boutiques, mais même là-bas, il n’y a pas de travail. Alors, je ne vous parle pas d’ici. Aller faire un tour au centre commercial Le Millénaire, vous verrez l’activité fantastique », lance-t-il ironiquement. Les allées du centre, ouvert il y a un an et demi à quelques pâtés de maisons de la ZUS pour revitaliser le quartier, sont en effet vides. Les rares vendeurs discutent entre eux. La Fnac, qui devait en être l’étendard, a déjà fermé boutique, faute d’activité.

« Les Parisiens ne viennent pas car il n’y a pas de transports et les banlieusards ne viennent pas car ils n’ont pas d’argent à dépenser, alors pour créer du boulot dans le coin, c’est pas gagné », assure Farid, l’air désabusé.

Yasmina Hatri a 39 ans. Maman de deux enfants, elle gagnait sa vie en gardant ceux des autres. Mais ces derniers mois, elle dit « avoir senti le vent tourner ». « Les gens n’ont plus de quoi faire garder leurs enfants, ils s’arrangent être eux, font des roulements, je les comprends, personne ne roule sur l’or aujourd’hui. Mais pour nous, ça veut dire le chômage technique. » Autrefois, en cas de vache maigre, il lui suffisait d’aller pousser la porte d’une boîte d’intérim pour trouver un « petit boulot ». Ce n’est plus le cas. « J’ai fait toutes les boîtes d’intérim cette année, dans les villes autour. Partout, ils prennent votre nom, votre prénom, ils vous font une fiche, vous disent qu’ils vous rappelleront, mais vous n’entendez plus jamais parler d’eux après. » Un discours tenu par de nombreux habitants de la ZUS qui font remarquer qu’on ne trouve plus une boîte d’intérim dans cette zone. Il faut aller à Saint-Denis ou à Pantin, même s'il n’y a pas plus de travail là-bas.

« Les intérimaires sont là pour faire face à un surcroît d’activité en général. Or le propre de la crise, c’est une activité plus faible, donc forcément, le monde de l’intérim est le premier touché », explique le responsable d’une agence de Pantin qui préfère garder l’anonymat. « Ici, c’est le bâtiment qui est fortement touché. Les programmes d’urbanisme tournent au ralenti avec les mairies du coin, donc les PME n’embauchent plus. On a des piles de CV, mais on ne sait pas quoi en faire. »

 

 

« Va comprendre »

Aziz Hassani a 48 ans. En près de 30 ans passés à travailler dans le bâtiment, il assure avoir toujours réussi à décrocher des chantiers sans trop de difficultés. « Il y a toujours eu du travail pour les bosseurs. Ce n’était pas un métier facile, mais on était au moins assuré de gagner de quoi nourrir sa famille. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les patrons nous disent qu’ils ont déjà du mal à payer leur propre équipe, alors nous… »

Et même pour ceux qui travaillent, la situation n’est pas facile non plus. Jessica* a 23 ans et un bac sciences et technologies de la santé et du social (ancien bac SMS) en poche. Depuis deux ans, elle tente de décrocher un poste d’assistante médicale, mais la concurrence est rude. « Pour vivre, je travaille donc depuis tout ce temps pour une chaîne de fast food à temps partiel pour 800 euros par mois. Ils payent au lance-pierre mais ce sont les seuls qui embauchent dans les environs. »

Pour Farid, l’ex-vendeur en téléphonie, si les quartiers comme la ZUS Villette – Quatre Chemins sont encore plus touchés par la crise que les autres, c’est parce qu’ils ne sont constitués « que de noirs et d’arabes ». « Les patrons s’imaginent que l’on va faire des problèmes, que l’on est difficiles à gérer… Alors dans ce contexte où ils ont l’embarras du choix, ils choisissent ceux qui ne viennent pas de banlieue, c’est simple », explique le jeune homme. « On a beau venir avec une chemise et une cravate, ils nous imaginent tout de suite avec une casquette et un jogging. »

Pour Ibrahim Camara, c’est pourtant plus compliqué que cela. « Dans les cuisines, on est beaucoup à venir de banlieue, il n’y a pas beaucoup de discrimination, mais aujourd’hui, même ces secteurs qui étaient les seuls à embaucher les banlieusards il n’y a pas si longtemps, comme la restauration ou le bâtiment, sont devenus frileux. Les chefs nous disent qu’ils ont peur que le restaurant s’écroule et qu’ils ne prennent plus personne en prévision. »

« C’est bien beau de la part des politiques de promettre des réformes, précise Farid. Ils annoncent partout que l’on est devenu la priorité du gouvernement, ils filent quelques aides aux mairies pour qu’ils embauchent encore deux ou trois employés espaces verts de plus, mais on ne va pas tous bosser à la mairie quand même ? Il faut des emplois dans le privé et ça, à part quelques usines, il n’y a rien ici. »

S’il y a bien un sentiment partagé dans le quartier, c’est que l’Etat ne prend pas le problème par le bon bout. « Voilà un nouveau rapport (celui de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles – ndlr) qui finira sur un bureau au ministère sans que cela ne change rien », prévoit Fabrice*, un ancien livreur de 42 ans, au chômage depuis six mois. « ZUS, ZEP, ZRU, CUCS… Ils vont encore créer de nouveaux sigles. C’est censé nous être utile à nous de savoir qu’on est en zone machin ou en zone truc ? Nous, ce qu’on sait, c’est que c’est la zone, ça oui. En plus moi, je suis en ZUS, mais plus loin dans la rue, ils ne le sont pas. Va comprendre… »

Pour lui, la « tonne de statistiques » déjà récoltée ces dernières années par les services de l’Etat, de la mairie, de l’INSEE ou de l’Onzus ne sert qu’à se donner bonne conscience, « à faire croire au reste de la population qu’on s’intéresse aux banlieues ».

« Il faudrait arrêter de faire des rapports et se mettre à faire de cette ville un endroit habitable où les magasins aient envie de s’installer, où les entreprises aient envie de placer leurs bureaux, pas uniquement leurs entrepôts, estime-t-il. Là, peut être, on pourra espérer voir le chômage baisser. Mais d’ici là, les seuls qui sont sûrs d’avoir du boulot, c’est Pôle emploi… »

 

SOURCE / MEDIAPART

Tag(s) : #actualités
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