Voici la traduction d’une note de lecture faite par Patricia Campbell, infirmière psychiatrique à Belfast et présidente du syndicat Independent Workers Union (IWU).
Colm O’Gorman, directeur exécutif d’Amnesty International – Irlande, a condamné notre système psychiatrique en le qualifiant d’inhumain et de grossièrement inadapté. Les policiers anti-émeutes ont été déployés pour réprimer la violence affectant les quartiers psychiatriques qui sont sous-dotés et surpeuplés.
O’Gorman affirme que « nous ne pouvons pas faire semblant que cela n’existent pas. Il y aurait un outrage public si ces événements avaient lieu dans des lieux où l’on traite les malades du cancer, et il devrait y avoir un outrage public ici et maintenant. » Ces problèmes sont systémiques et l’on se peut blâmer individuellement le personnel, qui pour la plupart sont des gens qui se consacrent à donner les meilleurs soins possibles.
Le nouveau livre de Susan Rosenthal, SICK and SICKER: Essays on Class Health and Health Care ["Malade et encore plus malade : Essais sur la santé de classe et la politique sanitaire"], expose les fondements de classe de ce type de problèmes. Rosenthal explique que la cause principale de la mauvaise santé physique et mentale réside dans le manque de pouvoir social, et elle justifie sa thèse à l’aide de données collectées par des chercheurs dans de nombreux pays. Quant à moi qui suis une infirmière psychiatrique à Belfast, qui est une zone sortant d’une guerre et qui fait partie des endroits les plus pauvres d’Europe, j’ai trouvé le chapitre « “Mental illness or Social Sickness?” ["maladie mentale ou maladie sociale?"] particulièrement évocateur.
Rosenthal insiste sur le fait que la maladie mentale n’est pas une déficience individuelle, mais une réponse raisonnable à des conditions sociales déraisonnables. Elle fait observer que « ceux qui dominent la société edictent ses règles. La classe dominante définit le comportement correct comme celui qui sert ses intérêts, et le comportement incorrect comme celui qui menace ses intérêts. »
Elle conclut que « la psychiatrie est (…) une idéologie déguisée en science pour convenir aux besoin capitaliste de contrôle social ». Son analyse permet d’expliquer pourquoi la police anti-émeute et les personnels de sécurité sont employés pour étouffer le mécontentement dans les quartiers psychiatriques.
Comme le dit Rosenthal, « la psychiatrie ne met pas en question le système de classe qui engendre la détresse mentale, elle cible les victimes du système et ceux qui protestent contre lui. La détresse mentale devient le problème qui doit être traité, non pas les conditions sociales qui engendrent la détresse mentale. »
Nous voyons les confirmations de cette thèse à Belfast, où on a prescrit à 40% de la population des anti-dépresseurs en une année, alors que les problèmes sociaux continuent d’être ignorés.
Dans le chapitre intitulé « le mythe de la rareté », Rosenthal démolit l’allégation selon laquelle il n’y aurait pas assez de ressources pour résoudre les problèmes sociaux. Elle explique que le fait de crier à la rareté a pour seul but de justifier le non-partage de la richesse. Ce point est difficile à contester à notre époque qui voit des gouvernements se porter garants de banques et de politiciens corrompus et dilapider les fonds publics.
Rosenthal nous encourage à tirer profit des expériences chiliennes des années 1970. Elle décrit la façon dont les travailleurs ont commencé à démocratiser les services sanitaires et comment la classe dominante a monté un coup d’Etat pour démanteler cela, et d’autres réussites de la classe ouvrière. Nombreux sont ceux qui sont dégoûtés par de telles défaites, mais Rosenthal voit les choses différemment : « Les réussites des travailleurs chiliens peuvent être une inspiration pour notre lutte. En tirant les leçons de leur défaite, nous pouvons parcourir tout le chemin et finir le travail qu’ils ont commencé. »
Nous apprécions ce que O’Gorman a dit et qui a jeté un coup de projecteur sur la réalité que nous vivons. Quant au livre de Rosenthal, non seulement il explique cette réalité, mais il nous stimule aussi pour résister, et il nous donne une direction. Je recommande à tout le monde, et en particulier aux travailleurs de la santé, de lire ce livre.