«Les contrôles, ça peut aller de trois à cinq par mois»

| Par Louise Fessard

Ils sont noirs ou arabes et estiment avoir subi un ou des contrôles d’identité au faciès. Attestations de témoins à l’appui, quinze Français ont assigné l’État pour pratiques discriminatoires. Ils demandent au ministère de l’intérieur de prouver que les contrôles d’identité subis n’étaient pas fondés sur leur couleur de peau et avaient un motif légal. Voici le témoignage de trois d'entre eux (plus celui d'un témoin).

Régis, 21 ans, serveur dans les Yvelines :

« On prend ça comme une routine, alors que ça n’en est pas une »

« En une semaine, je peux me faire contrôler trois ou quatre fois sur le trajet domicile travail ou même en bas de chez moi, surtout si je suis en tenue décontractée (jeans et baskets). Le problème est d’être noir ou arabe, c’est le seul facteur. Là, c’était fin 2011, je me suis fait contrôler avec deux de mes amis de 19 et 21 ans, tous deux noirs comme moi, à La Défense (Hauts-de-Seine). Les policiers n’ont donné aucun motif, pour eux c’était un contrôle normal. Nous marchions pour reprendre le métro et rentrer chez nous. Ils ont vérifié nos papiers et nous ont palpés.

Des fois, ça part en outrage, là ça s’est bien passé, mais je le vis très mal. C’est une humiliation, c’est énervant. Parfois cela se passe devant la famille. Et tout ça pour rien, comme si nous étions des délinquants... On prend ça comme une routine, alors que ça n’en est pas une. Un homme du collectif contre le contrôle au faciès était à La Défense et a vu ce qui se passait (il s’agit de Rachid Chatri, lire son témoignage ci-dessous  ndlr). Il s’est présenté à moi, après. Donc j’ai témoigné pour mes amis et pour moi, pour que ça change. »

Rachid Chatri, 30 ans, cadre dans une grande entreprise

et cofondateur de l’association « Balle au centre » à Bobigny (Seine-Saint-Denis) : « Les contrôles au faciès créent énormément de frustration. »

« Le 10 décembre 2011, j’étais à La Défense. Je vois des policiers se mettre en place entre le centre commercial et la gare RER et je décide de les observer, à une cinquantaine de mètres. La Défense, c’est assez mixte comme lieu, avec une grande diversité de population. En une heure trente, ils ont contrôlé une dizaine de personnes, toutes noires ou arabes et principalement entre 20 et 30 ans. Ça dure dix minutes à chaque fois (papiers, palpations, mains dans les poches et vérification du numéro Imei du téléphone portable). Sans suite.

Ce qui m’a interpellé, c’est la réaction des gens contrôlés. Comme Régis et ses deux amis. Ils arrivaient tranquillement, super souriants tous les trois. Ils voient les flics se mettre au milieu de leur chemin et on lit sur leur visage “Oh non, pas encore !”. Les jeunes contrôlés et fouillés baissent systématiquement la tête. C’était un samedi, un peu avant Noël, blindé de monde et les gens regardent en se disant “Qu’est-ce qu’ils ont encore fait, ces jeunes ?”. Il y a toujours cette suspicion, on se dit que la police contrôle ceux qui sont suspects. En fait, ils sont suspects du fait de leur couleur de peau. À un moment, un policier a aperçu un Maghrébin avec une barbe, il a couru une trentaine de mètres pour le contrôler. Mais quelle image les passants peuvent avoir d’un gars qui se fait courser par les flics ? Et quelle rentabilité de ces contrôles ?

Je suis contrôlé depuis l’âge de 13 ans. Aujourd’hui, j’ai mes stratégies : je fais des détours quand je vois les policiers, j’évite de sortir en groupe, et si je suis contrôlé, je ferme ma gueule. Mais je me sens humilié, je suis cadre, je n’ai rien à me reprocher. Les flics, c’est comme les assurances, il vaut mieux ne pas avoir affaire à eux. Dans l’association d’éducation populaire que j’ai créée, nous expliquons aux gens qu’ils sont des citoyens comme les autres. Mais ça, ça casse leur implication, les gens voient bien qu’ils ne sont pas comme les autres ! Ce phénomène crée énormément de frustration. »

 

Mounir, 20 ans, étudiant en école de commerce à Croix (Nord) :

« Je garde un gros point d'interrogation »

« C’était un jeudi d’octobre 2011 vers 16 heures. Je sortais du métro à Croix avec un ami, pour aller en cours. Je suis black et lui est d’origine asiatique. Il y avait dix personnes blanches devant nous. J’aperçois trois types au crâne rasé en uniforme noir, je n’ai pas tout de suite compris que c’étaient des CRS. Un des trois m’a dit “Toi, viens ici, contrôle de police”. Je n’avais pas ma carte d’identité, donc j’ai présenté ma carte d’étudiant. Il l’a sortie du portefeuille, l’a tournée, retournée, puis m’a demandé où j’allais et ce que c’était que mon école. Il m’a demandé si je n’avais pas d’objet dangereux ou de drogue. J’ai présenté mon sac à dos et il a répondu “Non, c’est bon”, sans même regarder. Puis il m’a dit “Passez une bonne journée, Monsieur, au revoir”.

Donc le gars m’interpelle parce que je suis black. Puis, il passe du tutoiement agressif au vouvoiement après avoir vu ma carte d’étudiant et, finalement, il n’effectue même pas sa mission complète ! C’était quasiment la première fois que j’étais contrôlé et je garde une grosse incompréhension, un énorme point d’interrogation. Pourquoi m’ont-ils contrôlé, moi ? Pourquoi se mettent-ils à me vouvoyer après avoir vu ma carte ? Pendant une semaine, j’étais vraiment remonté.

Peu après, j’ai croisé, à Lille, des gens qui distribuaient des tracts sur les contrôles, qui m’ont dit d’envoyer un SMS au collectif contre le contrôle au faciès. J’ai fait l’assignation pour faire comprendre aux policiers qu’ils ont une mission de service public et non de répression envers certaines catégories de la population qui seraient forcément dangereuses pour la société. Les gens ont des droits et doivent se battre pour les faire respecter. »

Lyes, 22 ans, étudiant en art dramatique à Lyon :

« J’avais 11 ans à mon premier contrôle »

« Nous nous sommes fait contrôler avec un ami de 24 ans, devant chez lui, à Vaulx-en-Velin, fin septembre-début octobre 2011. Nous sommes “arabes algériens”. Sur le chemin, j’avais vu une dizaine de voitures de police. Il y avait des lumières au loin et une qui était pointée sur mon pote, qui a protesté. Quatre ou cinq policiers sont arrivés, puis d’autres. Au final, ils étaient une quinzaine pour un simple contrôle d’identité. Un nous a dit “Contrôle d’identité, sortez les pièces d’identité”. Je n’avais pas ma carte, alors ils m’ont interrogé : nom, date de naissance, etc. J’ai demandé à celui qui paraissait être le chef, pourquoi ils étaient aussi nombreux. Il m’a répondu : “Quand on vient à deux ou trois, vous faites les hommes, donc on vient à 15.” Ils nous ont rendu les papiers et nous ont souhaité une bonne soirée avec un sourire narquois.

Les contrôles, ça peut aller de trois à cinq par mois. Les plus fréquents, c’est quand je sors de Vaulx-en-Velin. Depuis que nous sommes petits, nous sommes habitués. J’avais 11 ans à mon premier contrôle, au centre-ville de Lyon. C’est là que j’ai compris que les policiers n’étaient pas forcément des types très bien. Avant, j’avais une bonne image d’eux, je pensais que c’était juste une mode, ces gens qui répétaient “J’aime pas la police” en boucle. Quand j’ai commencé à grandir et à ne plus avoir l’air d’un petit gars innocent, j’ai compris que la colère envers eux était justifiée. Nous ne sommes pas dupes, ce sont toujours les mêmes qui sont contrôlés, mes amis de Vaulx-en-Velin et pas ceux du théâtre ! Je crois qu’il y a trois facteurs : c’est discriminatoire par rapport au lieu où nous habitons, à notre façon de nous habiller et à notre couleur de peau. »

 

Source : MEDIAPART

Tag(s) : #actualités
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