Denis Robert : « La fiction est le meilleur chemin pour dire le réel »
Le grand entretien, par Dorothée Thiénot 

 

Après dix ans de procès, le journaliste Denis Robert est enfin « blanchi ». Posément, sans rancune envers ses anciens détracteurs, il tente de convaincre les politiques de l’urgence à agir contre les dérives du système bancaire.

Regards.fr : Après avoir été blanchi en février par la cour de Cassation, la cour d’appel de Lyon fixera le 29 novembre les préjudices engendrés par Clearstream à votre encontre. Vous êtes soulagé ?


Denis Robert : J’ai gagné sur le plan judiciaire, mais je n’ai pas gagné politiquement, ni médiatiquement. Le scandale Clearstream n’a pas encore véritablement explosé. À quoi sert un journaliste si ce qu’il écrit n’a pas de résonance effective dans le réel ?

Regards.fr : Pourquoi ce silence, selon vous ?

Denis Robert : Il est relatif. Mais l’absence de prise en compte de ce que révèle mon enquête tient à son contenu. Ce que je montre est insupportable pour les banquiers car ça touche le cœur de leur bizness et celui de leurs plus gros clients. Le lobby bancaire est plus puissant que je ne l’imaginais. Ils ont mis en place une sorte de cordon de sécurité autour de mon travail. Dix années de plaintes à répétition et de calomnies. La décision de la cour de cassation réamorce l’histoire. Je vais à Bruxelles dans les jours qui viennent pour rencontrer des eurodéputés. Je suis sollicité par des candidats à la présidentielle. Je ne suis pas pressé. Le temps joue pour moi.

Regards.fr : Les politiques ne s’emparent pas de cette question ?

Denis Robert : C’est un débat qui commence enfin à agiter la gauche. Les candidats à la Primaire socialiste ont parlé de régulation du capitalisme ou de lutte contre les paradis fiscaux mais sans entrer concrètement dans le vif du sujet. Arnaud Montebourg ou Jean-Luc Mélenchon ont tenu les propos les plus offensifs, mais on reste encore trop à la surface des choses. Prenons l’exemple des paradis fiscaux. Nicolas Sarkozy avait promis leur disparition. Quelle blague ! Là, les candidats disent tous : « Il faut lutter contre les paradis fiscaux. » J’ai même entendu : «  Il faut interdire les paradis fiscaux. » C’est juridiquement impossible. C’est comme se saisir d’une savonnette avec un gant de boxe. Les paradis fiscaux sont des leurres. Il est par contre possible de surveiller, voire de stopper les pompes qui alimentent ces paradis fiscaux. On sait que les virements se font pour l’essentiel grâce à une société de routing financier, Swift et grâce aux réseaux informatiques des deux chambres de compensation Euroclear et Clearstream. Il faut contrôler ces structures…

Regards.fr : C’est ce que vous avez indiqué à François Hollande dans la note que vous lui avez donnée ?

Denis Robert : Oui, entre autres. On m’a demandé d’écrire une note. Je l’ai fait bien volontiers. On a trop tendance à considérer l’univers de la finance comme impénétrable ou trop compliqué. Ça ne l’est pas. C’est possible, c’est politique.

Regards.fr : Depuis l’appel de Genève lancé en 1996, c’est un de vos combats moteur ?

Denis Robert : J’ai affiné mes connaissances. En 1996, je n’imaginais pas que l’information financière était autant centralisée. Je ne connaissais pas les chambres de compensation. Je ne savais pas leur importance dans l’organisation du commerce interbancaire. Le juge Garzon, comme les six autres magistrats signataires de l’appel, s’avouait impuissant face aux moyens techniques et à la rapidité des prédateurs financiers. Les fonctionnements judiciaires étaient tellement lourds que les criminels gagnaient toujours. Malheureusement, d’un point de vue judiciaire, la situation n’a pas évolué. Les juges restent toujours cadenassés dans leurs frontières. Par contre, la perception que l’on a de la circulation des valeurs a changé. Il est inutile d’aller chercher des dépositaires dans des paradis fiscaux. Ils sont protégés par ces législations de papier. Le seul moment où les prédateurs financiers sont vulnérables, c’est pendant le temps du transfert de fonds. Et ce temps est électronique. C’est un jeu d’écriture qui s’opère à l’intérieur des chambres de compensation. C’est là qu’il faut taper.

Regards.fr : Vous faites de la pédagogie car souvent le vocabulaire financier est ardu ?

Denis Robert : Quand j’écris, je pense souvent à mon père ou à mes copains qui n’y connaissent rien. Je fais de gros efforts d’écriture et de simplification. Je n’ai pas peur d’être parfois naïf, ou de répéter plusieurs fois la même question quand je ne comprends pas. Cette méthode m’a permis de découvrir le fonctionnement de Clearstream. Au début, son PDG et son staff se sont moqués de mes questions. Ce sont ces questions et leurs réponses qui ont pourtant provoqué leur perte. Aussi puissants qu’ils pouvaient être, ils ont été virés comme des larbins trois mois après la sortie de mon premier livre Révélation$.

Regards.fr : Vous ne lâchez donc pas le morceau ?

Denis Robert : J’aimerais que d’autres prennent le relais. Je sais que des films et des articles sont en préparation en France et à l’étranger. Je suis content de ne pas y participer. Il faudrait maintenant une commission d’enquête et un véritable audit sur Clearstream mais aussi sur Euroclear et Swift. J’ai encore cette ultime étape à franchir.

Regards.fr : Vous avez d’autres projets ?

Denis Robert : Oui, mais j’ai un peu de difficulté à m’y remettre. Je n’ai pas peint une seule toile depuis presque un an. Mon prochain livre – un récit qui n’a pas grand-chose à voir avec la finance- est en rade. J’ai plusieurs films en fabrication. Une série documentaire sur le journalisme est en cours montage. Je prépare un film hommage sur un vieux journaliste qui m’a beaucoup inspiré à mes débuts, Cavanna… J’ai aussi envie de réaliser un film sur des ouvriers qui ont occupé une usine il y a trente ans. Il est important de témoigner de la classe ouvrière. De le faire sans nostalgie. J’ai aussi le dernier tome de ma BD L’ Affaire des affaires qui sort fin novembre. Et une autre BD adaptée de mon dernier roman Dunk est en cours d’écriture.

 

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Tag(s) : #lectures
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