L'extrême droite se met aux paniers bio...
Edition : Dijon / Bourgogne

Consommer des produits locaux, promouvoir la richesse du terroir ou encore encourager le travail des agriculteurs de la région... Ce discours est connu : il est depuis plusieurs années celui des militants écologistes. Mais ces idées sont aujourd'hui récupérées, de l'autre côté de l'échiquier politique, par des groupuscules d'extrême droite... Leur objectif ? Gagner la sympathie des populations pour faire avancer le discours nationaliste, voire conquérir des mairies lors des prochaines élections municipales. En Côte-d'Or, la commune de Thorey-en-Plaine, au Sud de Dijon, a découvert récemment que l'association de promotion des produits locaux "Cercle grevelon" avait un arrière-plan politique : celui du Bloc identitaire, connu pour ses positions radicales contre l'islam et le multiculturalisme...

 

 

 

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La stratégie de la séduction

Un champ de blé, un panier de fruit et légumes frais, le blason de la Bourgogne : en arrivant sur le site internet du Cercle grevelon - "grevelon" étant le surnom des habitants de Thorey-en-Plaine, en Côte-d'Or -, impossible de déceler quelconque anomalie : l'apparence de la page d'accueil pourrait être celle de n'importe quelle Association pour le maintien d'une agriculture paysanne (Amap), dont l'objet est la vente de paniers bio, en accord avec le discours des militants écologistes (Lire ici notre article sur le sujet). La réalité est plus compliquée. Loin des actions violentes ou provocantes prêtées en général à l'extrême droite, un certain nombre de ses partisans adoptent aujourd'hui une approche plus "douce", visant à séduire les populations avant que ne s'esquisse le discours politique...

Une stratégie de séduction présentée sur un forum - aujourd'hui fermé - par le fondateur de l'association nationaliste La Desouchière, répondant au pseudo de Roark, et retranscrite sur le site antifasciste Fafwatch (Lire ici l'article). Évoquant l'approche des populations par le monde associatif, il explique notamment que "le but de l'association doit être fixé de manière claire, de façon à ce que chacun en soit bien conscient, avant de s'engager de la façon qui lui convient. Cependant, il faut demeurer relativement évasif dans les documents officiels (statuts des sociétés et associations éventuelles), de manière à ne pas prêter le flanc à la critique de nos adversaires, ni éveiller les soupçons des autorités du lieu finalement choisi". Et de continuer : "L'implantation ne doit pas être avant tout politique. A mon sens, le but premier doit être de s'intégrer et de se faire accepter, apprécier, des habitants du cru, en adoptant un comportement exemplaire (...). Si le projet est bien amené, bien présenté, sans provocation, les gauchistes ou autre nuisibles n'y verront que du feu (...). Il suffira d’employer les arguments simples de "développement durable" ou de "mise en valeur du patrimoine local", très en vogue actuellement. Et surtout être discrets sur nos buts et notre philosophie".

Au-delà de l'approche des populations à des fins idéologiques, le fondateur de La Desouchière va plus loin : à long terme, cette stratégie pourrait permettre de briguer des mandats aux élections locales, sans pour autant que le candidat potentiel soit identifié comme appartenant à l'extrême droite. "Il serait judicieux de choisir une commune peu peuplée afin de pouvoir assez rapidement placer un maire souchien (ndlr : idéologiquement, La Desouchière distingue les "Français de souche" du reste de la population). Si nous sommes suffisamment nombreux, nous pourrons mécaniquement gagner les municipales. Il faut donc s'installer dans une commune déjà existante et réussir à y placer notre maire. Le contrôle de la mairie nous permettra de contrôler les permis de construire et en conséquence, de contrôler l'accroissement, la rigueur des construction, le bon emploi des fonds publics et la tenue de l'école". Et de poursuivre : "Imaginez donc une commune en voie de désertification, avec cent électeurs inscrits - car c’est ainsi dans les campagnes, il y a toujours plus d'électeurs inscrits que d'habitants à l'année, enfants compris - et dix nouveaux arrivants, qui sont trente au bout de 18 mois et plus de cinquante en trois ans : ils prennent ensuite la mairie avec leur liste entière sans problème". Une utopie irréalisable ? L'expérience tend à prouver que ces idées sont déjà à l'oeuvre sur le terrain...

Premiers cas dans le Morvan...

En Bourgogne notamment, de tels projets ont déjà identifiés. A ce sujet, le blog La Desouchière dégage, tenu par des habitants du Morvan, est même éloquent : "Dans le village des Grands Moulins, un coin magnifique au bord de l'Yonne et à la lisière du Parc du Morvan : une grande propriété presque à l’abandon. Seul un tailleur de pierre y réside depuis quelques années... Et puis, un beau jour du printemps 2009, la propriété résonne à nouveau de rires et des cris d'enfants. Les coups de marteau et le bruit de la perceuse rythment l’été, et des jeunes et moins jeunes gens commencent à réparer quelques vitres cassées. Ils sont avenants et souriants, aiment le pain bio, et s’intéressent à l’artisanat, à la nature... On entend parler d’un futur gîte, et en tout cas, quel plaisir de voir à nouveau des volets ouverts dans ce coin où tant de maisons restent fermées pendant des années. Seulement voilà, les nouveaux voisins ne nous ont pas tout dit, et pour cause...", racontent les auteurs du blog (Lire ici l'article).

De fil en aiguille, ce que les habitants croyaient être un simple chantier de taille de pierre se révèle être l'illustration de la stratégie décrite par La Desouchière. "Sur internet mais aussi dans des réunions de l'extrême droite française, le projet a été présenté sous son véritable jour : c'est "La Desouchière". Ils appartiennent au courant identitaire : leurs camarades organisent des manifestations contre Eric Besson (ndlr : ancien ministre de l'Immigration), jugé trop laxiste en matière d’immigration, aux cris de "One, two, three, retourne dans ton pays", et n'hésitent pas à agresser physiquement des manifestations contre l'identité nationale à Lyon. Sur le net, les gens de La Desouchière expliquent très clairement leur projet pour ce coin du Morvan : s’installer discrètement, racheter des biens immobiliers petit à petit, investir le tissu associatif local, ouvrir un gîte réservé à une certaine clientèle qui devra montrer "patte blanche", puis se dévoiler le moment venu, quand les bases seront solidement posées", notent les auteurs du blog.

L'opposition de la population ne s'est pas faite attendre. "Nous nous demandions s'il allait y avoir une réaction. En temps de crise, tout le monde est un peu replié sur ses problèmes... Pourtant, quelques semaines après le lancement du blog, il s'était déjà passé plein de choses dans le Morvan et en Bourgogne : un groupe Facebook a été rapidement lancé contre La Desouchière par des gens de la région et a déclenché une réaction immédiate de la part des fascistes, notamment des habitués et des administrateurs de Fdesouche (ndlr : un blog nationaliste) qui ont passé beaucoup de temps à pourrir une initiative qu'ils déclarent pourtant insignifiante. Sur place, les "desouchiers" démasqués ont subi quelques déconvenues de taille : par exemple, l'association La Graineterie, à Clamecy, a été éconduite fermement. Et puis nous avons reçu un tas de mails de gens de la région, nous demandant ce qu'on pouvait faire, tout de suite, contre la Desouchière", témoignent les rédacteurs du blog. Des affiches et des autocollants "anti-desouchière" ont également été édités pour signaler cette opposition.

A Thorey-en-Plaine (21), l'association qui dérange

C'est dans ce contexte que s'est implantée, au début de l'été 2011, l'association Cercle grevelon, à Thorey-en-Plaine, en Côte-d'Or. Sur son site internet, on peut lire notamment qu'elle "a pour but de promouvoir, en Région Bourgogne, les notions d'enracinement, de localisme, de défense du terroir, des communautés locales et de leurs traditions" (Lire ici). Dans la catégorie présentant les "Paniers grevelons", constitués de produits provenant directement d'agriculteurs de la région, le discours est également en phase avec la pensée écologiste : "Les Paniers grevelons c'est : pour le paysan, le maintien de l'activité agricole par la garantie de revenu ; pour le consommateur, des aliments frais, de saison, souvent biologiques, produits localement ; un prix équitable pour les deux partenaires" ou encore "Les Paniers Grevelons ont également les ambitions suivantes : favoriser un dialogue social autour de la sécurité alimentaire et du goût ; respecter la biodiversité ; agir pour l’emploi, par l’installation de nouveaux jeunes agriculteurs ; instaurer des animations sur la ferme, en favorisant le volet pédagogique sur la nature et l’environnement ; contribuer à réduire la consommation énergétique en utilisant des légumes produits à coté de son domicile ; ré-impliquer le consommateur dans ses choix de consommation".

Le soupçon au sujet des motivations de l'association a pourtant rapidement circulé. "Je ne vois pas ce qu'il y a de politique à vendre des fruits et légumes en faisant travailler les petits producteurs locaux", commente Mathieu Bouchard, trésorier de l'association et boulanger du village. Et d'ajouter : "C'est une rumeur basée sur le fait que les gens qui ont créé cette association, dont je fais partie, sont membres du Bloc identitaire. Et nos opposants politiques ont trouvé ça à nous reprocher, bien que nous ne le cachions pas. Ils ont cru intelligent de faire ça. C'est un amalgame".

Le maire de la commune, Alain Dubois, n'est pourtant pas de cet avis... "Je vous informe officiellement que cette association n'utilisera plus les locaux de Thorey-en-Plaine", aura-t-il pour première réponse. Avant de préciser : "Je suis tout de même maire de ma commune et j'ai des antennes : notre préfète était chez nous vendredi 23 septembre et ce n'est pas la première fois que j'ai des sujets de ce type à traiter... J'ai donc recueilli des informations auprès des services de l'Etat et elles ne me conviennent pas. En tant que maire, l'on est gardien de la République et j'estime que le fondement de l'association, tel qu'il est décrit, ne correspond pas au respect de la République et de l'emploi des bâtiments communaux. J'ai découvert que cette association était fondée sur une organisation politique et les locaux de la commune ne sont pas faits pour ça. La libre-expression existe, mais à partir du moment où cette tendance devient plus politique qu'associative à vocation sociale, je n'autorise plus". Après un été d'activité, les produits locaux du Cercle grevelon n'auront donc plus de point de vente à Thorey-en-Plaine. Et la stratégie de La Desouchière de subir un nouveau coup après la levée de boucliers morvandelle de l'été 2009...

 

Tag(s) : #actualités
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