manotti.jpgEntre fébrilité et illégalité, la vie ordinaire des brigades anticriminalité


Par DOMINIQUE MANOTTI Auteure de romans noirs

 


A Vitrolles, le 28 novembre, un cambriolage de surgelés dans un supermarché. La BAC (brigade anticriminalité) se précipite, elle est accueillie à la kalachnikov. Le tireur, semble-t-il très jeune, tue un policier et un de ses complices. Réponse de Nicolas Sarkozy, vendredi : les BAC de Marseille seront désormais équipées de fusils à pompe. Est-ce vraiment une réponse adaptée ?

Le véritable problème tient à la nature des BAC. C’est une police chargée de terroriser les gamins dans les quartiers, mais parfaitement inadaptée à la lutte contre la criminalité, les trafics d’armes, de drogues ou autres. C’est bien ainsi que la voit l’anthropologue Didier Fassin, après une enquête de quinze mois au sein d’un commissariat de banlieue parisienne, dans son livre la Force de l’ordre, dont Libé a rendu compte le 18 novembre. C’est de la même façon que je la vois dans mon roman Bien connu des services de police, publié il y a plus d’un an.

J’ai nourri cet ouvrage de vingt-sept années d’enseignement à Saint-Denis, dans le 93. Puis, entre 2000 et 2010, de la participation à plusieurs comités citoyens antibavures et de l’observation attentive de l’implosion du commissariat de Saint-Denis, en 2005. Au sein de ce commissariat, se côtoyaient deux groupes de policiers proxénètes et, en tout, une vingtaine de policiers impliqués dans des procédures judiciaires diverses pour violences et autres (sur un effectif de 220 policiers, si ma mémoire est bonne). Le patron fut suspendu, des policiers mutés, des flics proxénètes condamnés, sans que personne ne se pose de questions, comme par exemple : comment en était-on arrivé là ? Pour alimenter mon roman, j’ai également suivi durant cette décennie les procès, à Bobigny et ailleurs, dans lesquels des policiers étaient impliqués, à un titre ou à un autre. Donc une méthode de travail, des temps, des lieux d’observation et des objectifs bien différents de ceux de Fassin, un roman n’est pas une étude de sociologie.

Mais j’y ai retrouvé la même police. La vie ordinaire d’un équipage de BAC de nuit, hors du contrôle de sa hiérarchie, entre vaines maraudes et «surveillances statiques» passées à somnoler sur un parking, un temps que certains occupèrent à jouer les proxos. Les soudaines alertes qui jettent bien trop de policiers dans une action mal maîtrisée, sur la base de renseignements flous ou faux, dans la fébrilité du passage à l’action, enfin. Des BAC qui se trompent d’adresse ou déboulent avec violence dans une fête pacifique.

Dans la documentation qui a nourri le roman, cette histoire vraie : trente-deux policiers convergent vers la dalle d’un HLM pour arrêter un hypothétique voleur de téléphone portable, déboulent au milieu d’une petite foule affolée, se canardent entre flics au fusil lance-grenades (c’était avant les tasers et les flash-balls) et font huit blessés chez les policiers et trois chez les «civils». Au procès qui suivra cette brillante opération de guerre, on apprendra, médusés, que le responsable de l’opération (23 ans au moment des faits) a été promu brigadier et muté à l’Ecole de formation de la police, où il enseigne les méthodes d’intervention sur le terrain. Dans ces conditions, pas étonnant que, lorsque cette police-là tombe sur des braqueurs armés, même des branquignols, cela tourne à la catastrophe.

Se répondent aussi dans l’enquête et le roman les contrôles d’identité au faciès, qui constituent pour les policiers qui les pratiquent un apprentissage systématique et prolongé de l’illégalité assumée, attitude que l’on retrouve d’ailleurs du haut au bas de la hiérarchie.

On retrouve les traces des mêmes comportements, exactement les mêmes, dans les faits divers qui s’égrènent les uns après les autres. Dernier en date : sept policiers fonçant à trois voitures pour arrêter un automobiliste qui a brûlé un feu rouge à Aulnay-sous-Bois, roulent dans la pagaille sur l’un des leurs, et signent un faux procès-verbal chargeant le malheureux automobiliste. Devant de telles accumulations, de telles convergences, je ne comprends pas comment le syndicaliste policier à qui Libé demandait ses réactions face au livre de Fassin a pu répondre : «Sa brigade, c’est un sketch… si c’est vrai.» Et lorsque le ministre de l’Intérieur affirme le même jour : «La BAC est une police très adaptée au terrain», faut-il comprendre que Claude Guéant veut nous dire : «Une police de merde pour des quartiers de merde» ?

Le constat est noir, il est plus que temps de le prendre au sérieux. L’escalade de l’armement ne fera que rendre plus tragiques, pour les policiers et les habitants des quartiers, les affrontements à venir. Vite, une police efficace et citoyenne.

 

 

Source : Libération

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