Drogues: trente années d'erreur

 

Edgar Laloum, éducateur et formateur, dénonce la «triple peine» à laquelle les consommateurs de drogues prohibées sont exposés: le «traumatisme personnel» qui mène à la consommation, le «parcours inhumain» que constitue la consommation proprement dite, et enfin les peines légales auxquelles la justice les condamne.

 

 

 

 

Plus de trente années de débat, de vies brisées, de trafic maffieux et criminels, de morts et de drames humains pour enfin reposer les termes du débat. Plus de trente années que nombre d'intervenants de terrain suggèrent  une réflexion sur ce qui demeure depuis toutes ces années une catastrophe humanitaire. Plus de trente années durant lesquels des millions d'usagers de produits psychoactifs se voient mis hors la loi, certains durement condamnés par les justices de pays dits «éclairés», se trouvant ainsi victimes de ce que je désigne comme une triple peine.

Suite à une longue expérience de prise en charge de ce qu'il est d'usage de nommer les toxicomanes, j'affirme que quiconque se livrera à l'usage de drogues dites dures de manière durable, le fera suite à de graves carences ou traumatisme survenus lors de leurs construction personnelle, première peine, ils traverseront le parcours inhumain d'un toxicomane qu'il est inutile ici d'en décrire les méandres, deuxième peine, pour se voir presque inexorablement jugés et condamnés pour avoir désespérément tout mis en œuvre pour répondre à leur besoin, troisième peine. Sans mentionner les graves maladies que cet usage clandestin ne manque  pas très souvent de leur provoquer.

Depuis la nuit des temps, les humains se sont livrés à la recherche de substance leur permettant de se «transcender». Ces produits très divers selon les contrées et les civilisations ont d'abord été des adjuvants essentiels à la vie spirituelle et religieuse, et à la stimulation de la créativité artistique au service du divin. C'est ainsi que l'opium pour l'Asie, la Ganja ou la Marijuana pour l'Afrique, le Hachich pour la péninsule arabe, la coca ou le champignon hallucinogène pour les Amériques et...l'alcool pour les pays occidentaux et nordiques jouèrent ce rôle. Tous aujourd'hui sont largement prohibés...sauf l'alcool. Est-ce un hasard? Ou une démarche délibérément orientée... car il n'est plus à démontrer que la dangerosité de l'alcool est au moins aussi grande que la consommation de l'ensemble de ces substances. Interdire ce qui a toujours été un besoin universel a eu pour effet de générer à la fois des malheurs humains incommensurables, et une activité maffieuse des plus criminelles et lucratives sur la planète.

Les opposants à une légalisation, ne serait-ce que des drogues douces (herbe et hachich) sont les meilleurs alliés objectifs de ces réseaux maffieux, car ils sont les garants que leur trafic demeurera très fructueux. Mais ils sont aussi responsables de la mise en danger souvent fatales de millions de consommateurs, car ces produits vendus illégalement ne répondent à aucun contrôle. La grande dangerosité de ces produits, bien au-delà de la consommation en soi, réside dans la multitude d'additifs aussi terrifiants que variés qui sont ajoutés à ces produits pour en tirer encore plus de gain.

Ainsi, de la terre, des excréments d'animaux, du cirage sont mélangés au Hash,  l'herbe est gonflée au TFC, molécule psychoactive qui revêt des risques avérés de troubles mentaux, du talc de la farine ou même de la mort-aux-rats pour l'héroïne. Cela implique inévitablement d'énormes complication sanitaires et de graves dégradations mentales pour ceux qui les consomment.

De plus, contrairement à ce que véhiculent les prohibitionnistes, la légalisation contrôlée de l'ensemble de ce qu'il est d'usage d'appeler drogues, aura pour effet de permettre à ceux qui voudront s'en affranchir d'être beaucoup plus à même de le faire, car l'aspect illégal et répressif de la consommation de drogue joue très souvent un rôle de bascule vers l'illégalité, ce qui rebute nombre d'usagers de «sortir du placard» pour être aidé à en sortir.

L'identité de délinquant où la société actuelle les confine les amène à endosser souvent définitivement cette identité, et l'engrenage les conduira bien plus loin que le désir premier de consommer des substances psychoactives. Ainsi, nombre d'entre eux se retrouveront être des délinquants à part entière pour n'avoir eu, au départ, qu'un besoin d'évasion ou de sensation autre.

La grande majorité des jeunes que j'ai pu accompagner durant ma vie professionnelle, qui sont aujourd'hui des adultes avec des réalités plus ou moins chaotiques ou normalisées arrivent aujourd'hui à désigner le tournant de leur vie vers la clandestinité délinquante quand ils durent se mettre en relation avec les réseaux maffieux lors de leurs premières expériences avec le haschich ou l'herbe.

L'adolescence, par essence, est un âge de recherche de portes vers l'imaginaire, d'expériences nouvelles, d'émotions fortes. Certains verront dans ces produits la réponse à ce besoin. On peut continuer à les interdire encore trente années, on ne fera que continuer à en faire pour certains des délinquants en herbe, en apprentissage intensif vers une vraie délinquance active, vie de malheur pour eux et pour l'ensemble de la société civile. 

En conclusion, plus de trente années d'erreur, souvent fatales pour des centaines de milliers d'individus souvent très jeunes, doivent arriver à terme. Il n'est plus à prouver que le choix de la répression est loin d'être la solution comme pour tant d'autres questions.
Il s'agit en fait, plus généralement, d'un choix de société... un autre type de société où la conviction collective aurait enfin définitivement tenu pour acquis que le choix de la répression et de la tolérance zéro est à reléguer dans les archives d'un passé enfin révolu.

Tag(s) : #actualités
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