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Si vous nous lisez régulièrement depuis la rentrée de septembre, vous savez que notre site a décidé, tout à fait arbitrairement, de chroniquer plusieurs premiers romans. Deux raisons à cela, le niveau assez médiocre  des "grandzauteursconfirmés"dont les romans se vendent par centaines de milliers d'exemplaires. Et pendant ce temps, les premiers romans, de qualité, subissent la dure loi du marché. Pas de promotion (sauf prix littéraire), pas de passage télévision ou si peu, et surtout la présence de l'exemplaire unique dans nos librairies. Alors dans l'esprit de résistance qui est notre marque de fabrique, nous chroniquons encore, en cette fin d'année, un premier roman réussi.

 

 

 

Caroline de Mulder partage sa vie entre la France et la Belgique. Elle réside à Paris et enseigne la littérature aux facultés de Namur. Peu importe d'en savoir plus sur un auteur, car il suffit de le découvrir dans son livre.

Surtout pour les premiers romans.

Celui-ci ne déroge pas à la règle.

A l'origine, il y a le tango.

Ensuite, il y a le tango.

En fin, il y a le tango...

Ecrivons-le tout de suite, l'auteur de ces lignes n'éprouve aucun intérêt pour le tango. Si vous êtes dans ce cas, n'hésitez pas tout de même à lire ce roman, vous ne pourrez le regretter. Car autour du tango, il y a des personnages, il y a des lieux, il y a des rites, il y a toute une vie, une vie souvent entre parenthèses, la vie du jour, la vie de la nuit, la vie avec le tango, et la vie en attendant le tango. Car il y a beaucoup d'attente dans ce magnifique roman qui ne peut laisser personne indifférent, même pour ceux à qui le tango ne "parle" pas du tout.

Passons sur l'intrigue policière du roman, ce n'est pas vraiment l'important.

L'important, c'est la voix de la narratrice. Cette narratrice, Caroline de Mulder ?, nous apparait au fil des pages, des pages souvent rythmées, comme la prose décalée qui fait la profonde originalité du livre, et sans nul doute, sa réussite.

Au-delà du tango, le vrai sujet, sujet un peu moins voyant que cette danse, est l'addiction. Cette relation fusionnelle entre une jeune femme et cette danse pour qui elle vit. Dans la fiction si l'on songe aux relations fusionnelles, il s'agit presque toujours d'un homme et d'une femme. Mais la relation fusionnelle peut aussi être entre un humain et une passion, une passion ici nommée tango.

Chaque chapitre porte un titre, souvent intriguant, d'ailleurs un certain mystère est  une constante de ce roman aussi étrange que prenant :

Vivre sans air

Tango interruptus

Tango in paradisum...

Autre point fort de ce roman, le style si particulier de Caroline de Mulder, une écriture fluide où l'on ne peut trouver un mot inutile. Sans citer de noms, il est difficile pour ceux qui, comme nous, lisent beaucoup de livres dans une année, de ne pas faire le rapprochement avec quelques écrivains trop célèbres qui s'expriment, ou tentent de s'exprimer, en abusant des boursouflures stylistiques, et des facilités.

Rien de tel ici.

Une belle transposition de l'oralité dans l'écrit, avec style, sobriété et élégance. Ce n'est pas donné à tout le monde.

Il y a de la lumière, de la lumière et de la musique, de la musique et de la violence dans ce roman, un roman de la transformation, un roman du rêve, de la révolte. Avec des glissades, des syncopes, des interrogations, des ruptures, des attentes, tout cela traduit par la syntaxe brillante des pensées de la narratrice.

Si pour certains le tango est une danse, pour d'autres c'est une vie, la vie, toute la vie, une vie qui ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie.

Caroline de Mulder évite tous les clichés que l'on peut lire d'habitude sur le tango, et ils sont nombreux.

Et puis dans les centaines de titres de la rentrée littéraire francophone de cet automne, nous n'avons pas encore trouvé de plus beau titre :

Ego tango...

 

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Caroline De Mulder a remporté le prix Rossel 2010 pour son premier roman Ego tango, le plus important prix littéraire belge.
 

 

Ego tango

Caroline de Mulder

Editions Champ Vallon

2010 / 220 p / 16 euros

 

  

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ACTUALITES /

 

- Le jeudi 13 janvier de 12h30 à 13h30, Caroline De Mulder est invitée au Palais des Beaux-Arts à Bruxelles dans le cadre des "Jeudis lire"

- Le samedi 22 janvier à 12h00, Caroline De Mulder est invitée au brunch littéraire d'hiver du Centre Wallonie-Bruxelles à Paris 

- Le lundi 24 janvier de 20h à 22h, Caroline De Mulder participe à la Nuit du son, "Par Ouï-dire", en public et en direct (La Première) à la Bellone à Bruxelles

 

EXTRAIT / Page 11

 

Je regarde la pièce galeuse: un deuxième étage, deux fenêtres (pas grandes déjà) qui donnent en plein le mur d’une petite cour sombre. Moquette au sol, sur laquelle de la mousse dans le coin gauche, étrangement imbibé: d’indéterminables problèmes de tuyauteries – le voisin du dessus peut-être. Quelques affiches qu’il faut ramasser ou enjamber ou piétiner plusieurs fois par jour (le système colle invisible qui ne colle pas). En guise de lit, ce sofa qui me fera mourir, trempé comme une soupe (tuyauteries toujours, ou aération qui sait, comment savoir), et surtout des vêtements partout: sur les quelques chaises, le dos du divan, les plages sèches de la moquette, partout des chiffons, souvent de premier ordre, et des chaussures. La lumière: une poire nue à 220 volts louche vers le sol, éclaire les lézardes et la peinture qui dégringole par écailles humides. Tuyauteries.

J’écoute l’eau. La porte de la salle de bains est fermée. J’aime autant. Et surtout ne pas penser à la verdure moussue qui envahit les interstices des lattes de plastique (elles finiront par bouger seules). Ni à cette couleur rosâtre, rouge à peu près, dans les recoins et à tous les endroits que l’éponge (des grands jours) atteint mal. Ce n’est plus du détergent, c’est de l’herbicide qu’il faudrait. Pas un mot sur l’émail pelé de la douche, sur les taches noires et lépreuses qu’il laisse apparaître et dont chaque fois je me dis qu’elles s’agrandissent: mon imagination sans doute. Elle finira par me tuer.

Ezequiel sort de là, le corps tout en eau. Il a tordu en arrière ses grands cheveux, qui à sécher prendront une éternité. Il s’est rasé (mon ladyshave, je pense). À le voir comme ça, il pourrait être tout ce qu’il voudrait. Il me jette l’œil glacé d’un homme d’affaires en vacances. Je m’étais bien dit qu’il faudrait enlever mes collants sales. Je glisse sournoisement mes pieds sous un coussin du sofa. L’odeur de poussière m’oppresse d’un coup. Les relents de vieille fumée m’incommodent. (Pour effacer, il faudrait de la fraîche.) Quoique insolente et détaillant Ezequiel comme si je sortais de prison, j’ose à peine me lever. On est toujours moins nu couché que debout. Plus décent nu qu’habillé à demi. Là en l’état, pas possible. J’attends qu’il cherche dans l’armoire les habits qu’il a laissés chez moi, pour filer à la douche, encore chaude et embuée de lui. Le miroir opaque et blanc (j’y passe un doigt rêveur). Par terre quelques traces de pieds noirâtres (où ont traîné ses pas).

Tag(s) : #lectures
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