Tribune Des assistants sexuels travaillant auprès de personnes handicapées reprochent au Comité d'éthique d'avoir, dans son dernier avis, une vision réductrice de leur pratique.
Le Comité consultatif national d'éthique vient de refuser aux personnes handicapées toute assistance sexuelle (lire l'avis). Membres de l'association francophone Corps Solidaires regroupant des assistant-e-s sexuel-le-s certifié-e-s, nous regrettons que cette institution n’ait pas auditionné de praticien-ne de l’assistance sexuelle, se contentant de témoignages indirects. La vision réductrice de notre pratique donnée par cet avis nous semble avant tout dictée par une série d'a priori.
L’assistance sexuelle serait une réponse mécanique, donc dangereuse.
Nous aurions aimé expliquer que c’est une pratique structurée (élaboration de la demande, entretien préalable, suivi…), que les séances sont marquées par un constant ajustement aux attentes des bénéficiaires et ont pour but de soutenir leur plaisir de vivre, que nous nous adressons toujours à la globalité du corps et pas seulement à la génitalité et que la qualité de la relation est primordiale, loin de toute mécanique.
Les personnes handicapées doivent être protégées de toute frustration.
Pourquoi ces adultes seraient-ils infantilisés au point de leur nier toute liberté ? N’ont-ils pas déjà grandi avec la frustration, plus encore que les valides ? Dans le domaine de la sexualité, il ne s’agit pas de frustration mais de privation, ce qui est plus grave. Priver un sujet d’une expérience corporelle fondamentale, c’est empêcher toute intégration psychique de la sexualité. Ce que nous offrons est une réponse qui combine plaisir et pare-excitation.
Dans l’assistance sexuelle, le corps est vendu.
Une telle affirmation est absurde pour nous qui exerçons (ou avons exercé) l’assistance sexuelle depuis 2009. Mettre à disposition la douceur de nos mains et notre présence corporelle ne nous transforme pas en sex-toy ! Nous ne perdons ni notre liberté ni notre dignité. Les opposants font un abus de langage avec le terme de «marchandisation», amalgame avec l’exploitation révoltante de la prostitution forcée. Ici, il ne s’agit ni de vente ni de location, car l’assistant-e habite son corps, en présence à l’autre.
Si les assistant-e-s sexuel-le-s ne sont pas des victimes, alors ce sont des agresseurs.
Nous sommes particulièrement indignés par l’allusion calomnieuse de «situations d’abus de la part des aidants». Le comité d’éthique pourrait-il citer une seule situation connue de dérives, avec des références ? Non, aucune, car il n’en existe pas ! Relayer ainsi des rumeurs malveillantes relève de la diffamation, dont les auteurs n’ont peut-être pas mesuré la gravité. Quel intérêt aurait un agresseur à s’exposer sur une telle activité ? Il préfère rester caché et que le sexe soit dans la honte… On se demande parfois si les censeurs ne font pas alliance sans le savoir avec les abuseurs, en laissant s’installer le non-dit. Au contraire, notre pratique fait partie intégrante de la prévention des abus. L’instituer comme possible, c’est autoriser la circulation de la parole sur le désir et le non-désir, c’est apprendre à dire oui ou non en matière de sexualité.
Le sexe doit toujours être associé à la relation amoureuse.
Les auteurs du rapport évoquent la «relation amoureuse fondée sur des sentiments et des engagements moraux». Très bien. Mais faut-il exclure des relations vécues dans le présent du plaisir partagé, bien que sans engagement ? N’est-ce pas ce que vivent de nombreux adultes avant de nouer des relations plus durables ? L’idéalisation de la vie amoureuse signifie : le grand amour, sinon rien ! On peut faire ce choix librement, mais on ne peut l’imposer à des personnes en grande dépendance physique. Dépassons cette éthique de conviction qui crée plus de souffrance qu’elle n’en soulage, pour oser une éthique de responsabilité. L’assistance sexuelle n’est pas LA réponse, mais une des réponses possibles, pour échapper à cette cruelle alternative du tout ou rien.
Ce n’est pas le rôle des soignants, ni d’aucun autre professionnel.
…donc les personnels médicosociaux doivent bricoler des réponses malgré tout ! Le comité d’éthique estime qu’il est moralement acceptable pour des soignants d’aider un couple à avoir un rapprochement intime. Nous sommes d’accord s’il s’agit d’allonger deux personnes l’une à côté de l’autre puis de les laisser. Mais s’il faut aider à mettre un préservatif voire à guider la pénétration, est-ce la mission d’un soignant ? Nous ne le pensons pas. Même difficulté à propos «des moyens mécaniques de satisfaction sexuelle» conseillés par les sages. Soyons concret : si l’adulte a des difficultés motrices, est-ce le rôle d’un éducateur ou d’une infirmière de l’aider à se servir d’un jouet sexuel ? Notre réponse est non. Si le sex-toy est une solution (ce qui n’est pas sûr), seule une personne spécialement missionnée pourra en faciliter l’usage.
Continuez… dans l’ombre.
La mise en relation d’une personne handicapée et d’un aidant sexuel restant une infraction pénale en France, le Comité national d'éthique écrit : «En vertu du principe d’opportunité des poursuites, un procureur peut estimer que les circonstances ne nécessitent pas de poursuites pénales.» Ce Conseil entérine donc l’hypocrisie existante : la sexualité clandestine peut continuer, dans l’ombre et la culpabilité. Nous espérions plus digne réponse au désir des citoyens et citoyennes qui attendent depuis dix ans, vingt ans que cette expérience de vie leur soit un jour accessible !
Pour notre part, au sein de Corps Solidaires et d’autres associations, nous continuerons à accompagner des personnes en situations de handicap, à transmettre notre éthique et à former des assistant-e-s au service d’une sexualité solaire, digne et responsable.
SOURCE / LIBERATION