Morts des blogs ou annonce d’une censure ?


 

Depuis quelque temps, on entend parler de la "mort des blogs". Comme dans cet article du New York Observer. Mais la réalité paraît très différente. En témoigne, par exemple, la censure de l’internet en Egypte en réponse au mouvement social. Cette censure est-elle fondamentalement différente d’une certaine propagande qui vise les blogs depuis quelque temps ? Les blogs véhiculent des informations. Ils contiennent également de nombreuses réflexions originales et intéressantes de citoyens qui ne sont pas dans la "bonne ligne" des lobbies, partis politiques, "bonnes associations" et assimilés... mécénisés et moulés dans le système. C’est par les blogs que s’expriment souvent la société réelle et le rejet de la "pensée unique transversale", ne pouvant pas communiquer publiquement par d’autres moyens. Et c’est précisément ce qui dérange, par exemple, à la veille de chaque échéance électorale. Que nous prépare-t-on en France pour 2011, à l’approche des élections de 2012 ?

 

LOGIQUE D'EMBRIGADEMENT
 

A strictement parler, dans de nombreuses activités professionnelles, la constitution d'équipes très structurées n'est pas vraiment nécessaire ou les modalités pourraient en être assouplies.

Mais les "grands chefs" du secteur privé poussent à la "managérisation" afin de mieux contrôler et endoctriner les personnes. On nomme les "chefs" pour qu'ils "tiennent les gens", même si leur présence et leurs prérogatives ne sont pas vraiment nécessaires du point de vue de l'efficacité du travail. Cela fait partie du prétendu "esprit d'entreprise".

Depuis les années 1980, le secteur public emprunte progressivement le même mode de fonctionnement. Même dans des activités comme la recherche, les coupoles tiennent à ce qu'il y ait partout des "groupes" avec des "chefs", car une telle structure constitue un "excellent" moyen de pression sur les individus, de promotion des "bien-pensants" et de propagation d'un "esprit maison".

Or, la même logique d'embrigadement se manifeste de plus en plus ouvertement dans la vie civile, et tout particulièrement en ce qui concerne l'accès à des moyens d'expression d'une certaine efficacité. Le blog est un outil individuel et collectif qui peut permettre à tout citoyen, groupe, courant d'opinion... d'écrire et diffuser ce qu'il pense vraiment. Même si ce n'est pas conforme à la "pensée unique" concoctée et imposée par "nos élites", et c'est là que le bat blesse.

Comment permettre une liberté de pensée, d'opinion et d'expression réelles du plus grand nombre, alors que de nombreux indices mettent en évidence une défiance croissante à l'égard d'un système en place dont la crise est évidente ?

 

ELIMINER LA DISSIDENCE
 

Et le blog est d'autant plus "dangereux", que l'Histoire a bien montré que les idées novatrices, les mises en cause cohérentes du pouvoir ou des préjugés, les appels à la révolte ou à la brisure des carcans idéologiques... sont au départ minoritaires. Le "problème", c'est que les "mauvaises pensées", voire même des informations qui dérangent, finissent par se propager.

Déjà au Moyen-Age, l'Inquisition, Inquisitio Haereticae Pravitatis (enquête sur la perversité hérétique), visait avant tout la pensée et son expression. La logique étant que ceux qui pêchent par la pensée et la parole cessent à terme d'obéir et répandent la désobéissance. Déjà dans sa bulle des Ides de mars de 1208 décretant la Croisade Albigeoise, le Pape Innocent III avait écrit  : "Selon la parole de vérité, il ne faut pas craindre ceux qui tuent le corps, mais bien celui qui peut envoyer le corps et l'âme en enfer".

Ce raisonnement des pouvoirs en place a-t-il vraiment changé en la matière ? Dans sa lettre du 1er avril 1766 à Etienne-Noël Damilaville, Voltaire écrit : "Quand la populace se mêle de raisonner, tout est perdu". La liberté de pensée, c'était bien pour une minorité éclairée. Or, Voltaire reste à ce jour une référence pour "nos décideurs". Le "philosophe des lumières" ajoute d'ailleurs dans la même lettre à Damilaville : "Si vous faisiez valoir, comme moi, une terre, et si vous aviez des charrues, vous seriez bien de mon avis". En clair : si vous étiez patron comme moi... Voir notre article :

La lettre de Voltaire à Damilaville du 1er avril 1766

Alors, oui, les blogs dérangent. Car on peut, par exemple, accorder des avantages matériels à quelques milliers de parlementaires et de politiciens professionnels, mais pas à tous les citoyens qui ont quelque chose à dire. Lorsqu'une petite minorité "pense", décide et s'exprime "au nom du peuple", les choses deviennent plus faciles pour le pouvoir économique. A fortiori, vu que d'après la Constitution (article 27), un parlementaire ne doit aucune explication à ses électeurs, pas plus qu'à la base de son propre parti politique. Alors que le "mécénat", les réseaux et think tanks, les "alternances" de façade... se portent très bien. Le peuple n'ayant d'ailleurs pas, pour "nos élites", vocation à "tout savoir".

Il en est de même en ce qui concerne la presse professionnelle, dans une période où les médias tombent les uns après les autres sous le contrôle des oligarchies industrielles et financières. Un journaliste peut être licencié ou privé de demande d'articles, et se retrouver à terme sans revenus. Trop souvent, pour survivre professionnellement, il devra se rapprocher d'un courant plus ou moins influent ou, du moins, être accepté par une partie du monde politique. S'il dérange untel ou untel, il peut être soutenu par d'autres. Mais s'il "embête tout le monde", il est fait d'avance. Avec un blogueur bénévole et autonome qui ne roule pas pour un courant du système, c'est plus compliqué. Or, le système n'aime pas qu'on l'empêche de tourner en rond.

 

OBEIS ET TAIS-TOI
 

 Vous comprenez, le système en place est déjà, le pauvre, "trop fragile". Que deviendrait-il si, instigués par des "inconscients" ou des "malveillants", les gens se mettaient à suivre un "mauvais exemple" ? Alors, attention à cette "source d'idées absurdes et irresponsables" que peut être, semble-t-il, l'internet. Voltaire est toujours bien présent : la liberté d'expression et de communication n'est pas faite pour le "bas peuple". Ce dernier doit regarder la télé, voter pour les candidats qu'on voudra bien lui proposer, et surtout... se taire et obéir.

L'exemple de l'Egypte est d'ailleurs là pour nous rappeler une simple réalité : le contrôle de la Toile ne se trouve pas dans les mains des citoyens, mais dans celles des Etats et des multinationales qui en détiennent les moyens de base. Pour la plupart des blogs, il appartient également aux détenteurs des médias. Avant les élections françaises de 2002, les listes de discussion étaient passablement censurées. A l'approche de celles de 2007, les mauvaises surprises dans des médias théoriquement "ouverts" n'ont pas manqué. Que deviendront les blogs, en France ou ailleurs, avec l'aggravation des tensions sociales et les nouvelles échéances électorales ?

Quant aux moteurs de recherche, qui les contrôle ? A nouveau, pas le "petit citoyen".

 

Le Collectif Indépendance des Chercheurs
http://science21.blogs.courrierinternational.com/
http://www.mediapart.fr/club/blog/Scientia

Source : AGORA VOX

Tag(s) : #écrans
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