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Elle y va, Keny. De concert en assemblée populaire, la rappeuse trace une route contestataire à la rencontre d’un public nombreux et diversifié. Tour des thèmes et tour de piste.

 

Ton actu est « désobéissante »…

C’est une parenthèse entre deux albums, avec un concept thématique : plusieurs visions de la désobéissance. L’année dernière, on est parti sur les routes de France organiser des assemblées populaires. Pour que les gens, au lieu de s’enfermer dans une vie qui divise et individualise, puissent partager leurs problématiques, leurs solutions, leurs alternatives. Qu’on rebondisse, qu’on en sorte grandi et que des projets jaillissent. Ensuite, j’ai refait une tournée. Avant les concerts, on a organisé des forums, quand on arrivait à obtenir une salle…

Ça nous a surpris de voir ton public... Concert pur rap, et dans la salle, de tout, même du style baba cool.

Oui, des militants, des jeunes de quartiers… c’est ça qui fait plaisir ! Quand j’écris un morceau, j’essaie que ce soit du cœur à cœur, je ne vais pas parler juste à mes frères de quartier ou à mes frères militants. J’essaie de faire tomber ces barrières. Je n’intellectualise pas, j’écris à l’instinct. Même s’il y a un côté politique, c’est émotionnel. Je n’ai pas de vision de carrière. Grâce à Dieu, je fais de la musique, j’en vis, même si je n’ai pas forcément cherché ça. C’est une manière de vivre, de réaliser en actes mes idées, mon être. Je suis pour un changement radical. Mais je ne suis pas altermondialiste non plus, ça c’est encore une case, je suis juste alter. Le mot militant me dérange aussi.

Tu te rapproches d’organisations déjà existantes ?

Je dirais plus des autonomes, squats, et autres anarchistes… Parfois je reproche aux organisations de quartier d’être trop institutionnelles, pas assez autonomes. Bien sûr, ce qui se passe dans les quartiers me touche. Il y a un an ou deux, un jeune s’est suicidé à la prison pour mineurs de Lyon, avec un gros brouillage au milieu : on ne voulait pas dire qu’il était mort, le daron a dû y aller quelques jours après, il n’y avait plus de traces, des trucs bizarres… Je suis aussi touchée par ce qui se passe en Palestine, au Tibet, au Chiapas. Le problème n’est pas seulement une lutte de quartiers, mais un truc mondial. Il faut s’attaquer à la cause, non à ses effets. J’aime les assemblées populaires parce qu’il y a une diversité de gens. Même si parfois il y a confrontation, c’est toujours enrichissant. Ça fait tomber des barrières. Par exemple avec les anarchistes. J’avoue que leur athéisme militant me faisait peur : je suis croyante et, donc, je me voyais exclue. Mais on a été beaucoup accueillis dans ces lieux anarchistes, et je sais que ça a fait changer des choses, une vision. Pour eux, la foi était liée au Vatican. Elle n’est pas forcément liée au système religieux…

Vous savez ce que vous voulez construire ?

On n’est pas un parti politique, on n’est pas là pour dire « faut faire ça ». On veut que chacun récupère la formule populaire et la fasse vivre dans son quartier, sa ville, sa campagne. Que ça devienne un outil du peuple et, qu’ensemble, on arrive à un début de solution. On n’en verra pas les fruits tout de suite. C’est une lutte intérieure, dans le sens du déformatage. Si on est à l’image du système, on ne bâtira rien. Il y aura encore une hiérarchie avec un chef et des gens qui exécutent. Or, qui dit pouvoir, dit corruption. Et division. Nous, on lutte contre un système qui a créé des classes. Les classes, elles se niquent entre elles. Mon ennemi ce n’est pas le bourgeois, c’est un système, une machine.

Un exemple de désobéissance ultime ?

Sur une base de désobéissance civile, Gandhi a libéré son pays de l’Empire anglais. Le pilote d’avion qui ne décolle pas parce qu’il ne veut pas coopérer à une expulsion est, lui aussi, un exemple. Ce monde est le reflet d’obéissances aveugles. Le message de la désobéissance, c’est « réfléchis par toi-même, avec ton cœur, à ce qui te paraît juste ». Ça peut être à petite échelle. Mais il faut arrêter de dire « j’ai pris le sans-papiers et l’ai emmené en détention, mais ce n’est pas moi, on m’a demandé de le faire ». Et ben si, c’est toi. C’est toi, moi, nous ! Les maillons de la chaîne.

Tu es originaire d’Argentine ?

Oui, mais je suis née en France. Musicalement, les gammes qui me touchent sont très latines, j’adore la guitare latino. Je suis citoyenne du monde avant tout. Je ne m’arrête pas sur une lutte sous prétexte que ce sont mes origines. J’essaie de niveler mes frères et sœurs vers le haut, de leur insuffler un peu de force, de foi, de confiance en eux. Je ne fais pas de la musique pour vendre des disques. Si j’en vends, tant mieux.

Un mot sur le clip détourné par le Front National…

C’était avant les élections. Ils ont pris mon morceau Nettoyage au karcher, ont enlevé le couplet, coupé ça avec des images nazies dégueulasses. Sur le refrain, c’était comme des images de dessin animé, Le Pen avec un karcher. L’idée c’était « nique le système comme fait Le Pen ». J’ai reçu des mails (le clip était relié au site officiel du FN) du genre « trop bien ce que tu fais, nationaliste, tu portes le message… » Dès que j’ai vu ça, j’ai loué une caméra, enchaîné deux ou trois nuits blanches pour leur répondre avec un autre clip. Je l’ai envoyé sur Internet. À mon avis, ils ont voulu décrédibiliser ma démarche, mettre le doute dans la tête des gens, faire en sorte qu’il y ait des fachos à mes concerts. Et là, ça pourrait partir en vrille… Mes concerts, c’est mon seul moyen de faire passer le message. Être interdite de scène serait pour moi un coup dur vu que je ne fais pratiquement pas de télé.

C’est toi qui ne veux pas ou ça ne vient pas ?

C’est moi qui ne veux pas. je ne serai pas leur alibi. Je n’ai rien à y faire, je préfère le bouche à oreille. De toute façon, je ne crois pas que mon message puisse se transmetttre comme ça, en direct, à des millions de personnes. Je préfère que ça aille à sa vitesse, sans pression. Je ne suis pas adepte de la méthode marketing « matraquage ».

 

SOURCE / RESPECT MAG

VICTORIA / 3'44

 

Tag(s) : #musiques
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