Si vous avez suivi de près l'actualité sociale des années passées vous n'avez certainement pas oublier les mots troublés par les larmes de cet agriculteur, pris à la gorge, obligé de détruire ses arbres. De France-inter à Canal + sa forte présence et son expression claire et sincère ne pouvait qu'émouvoir. Mais au-delà d'une légitime émotion ressentie, il fallait aller un peu plus profond dans le problème de ces agriculteurs qui disparaissent par milliers, souvent à bas bruit...
Ce livre est donc utile, utile afin de mieux comprendre pourquoi nous sommes dans un pays, dans une Europe où les vergers à l'abandon se multiplient modifiant le paysage, sinistrant des travailleurs et les réduisant à "vivre" de subventions.
Dès le premier chapitre, un chiffre nous parle :
En 1975, un kilo de golden se vendait en production entre 0,27 et 0, 33 euro alors que le SMIC était à moins d'un euro de l'heure, charges comprises.
En 2010, le kilo de pommes se vend à 0,22 euro pour un SMIC à 12,48 euros charges comprises.
C'est sur France Inter que Pierre Priolet extériorisa sa colère, surmontant sa pudeur :
"J'ai vendu mes fruits 9 centimes, je les vois à 2,80 euros en magasin. J'ai vraiment l'impression d'être pris pour un con. Si on ne veut pas de nous, si on nous méprise à ce point, il vaut mieux qu'on arrête !"
Les pages suivantes sont terribles car on imagine sans difficulté combien il doit être désespérant pour un agriculteur de tout arracher et surtout de travailler à perte, ce qui peut vraiment être qualifié de déni d'existence.
"Le marché a tranformé les agriculteurs en ouvriers agricoles de l'industrie phytosanitaire, tributaire de son lobbying à Bruxelles et dans le reste du monde."
On ne peut que partager la plupart de ses analyses, sur Bruxelles, sur les aides, sur la nocivité de la grande distribution, sur la dégradation du territoire avec la multiplication des friches. En revanche, on ne pourra en aucun cas le suivre sur sa critique, très politique, de l'écologie, dans un chapitre intitulé "Je ne suis pas un polleur". Idem pour ses réserves sur le bio et le système solidaire des AMAP !
On ne pourra que le suivre aussi sur ses critiques des banques, sans toutefois aller jusqu'au bout de la logique pourtant décrite, et qui se nomme capitalisme. Sa critique aussi de la mondialisation qui est au service de la grande distribution. On le sait, mais il est utile de le rappeler souvent. Les pratiques mafieuses de la grande distribution, d'ailleurs adossée aux banques, est bien décrite avec les marges occultes, et ces contrats délirants entre les grands groupes et les paysans qui n'engagent que l'un des signataires !! Ayant liquidé les petits commerçants, la grande distribution fut effectivement une grosse machine à produire des chômeurs, et a dégradé la santé des consommateurs.
On pourrait aussi ajouter à dégrader la vie de ses propres salariés ainsi que l'expliquaient les employées de Carrefour en grève récemment...
En fin de volume, et c'est une autre qualité du livre de Pierre Priolet, il envisage un projet pour un nouveau système de distribution se passant d'aides et basée sur l'idée du "consommer juste". Et pas juste consommer ! Sans nul doute une piste qui pourrait être intéressante en la creusant politiquement. Même s'il est assez surprenant de voir y participer une enseigne aussi peu positive que "Buffalo Grill" qui est à la restauration ce qu'est "Carrefour" à la grande distribution...
L'auteur est sincère et sait particulièrement bien nous faire partager sa colère et ses espoirs, ce qui rend le livre efficace, nécessaire, et apporte un nouveau témoignage à la résistance indispensable aux méfaits de masse des grands distributeurs.
Dan29000
LES FRUITS DE MA COLERE
Plaidoyer pour un monde paysan qu'on assassine
Pierre Priolet
Editions Robert Laffont
2011 / 162 p / 16 euros
Pour voir le site de l'éditeur, c'est ICI
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