mains.jpgRomain Goupil : mourir à 10 ans

Comment vivent les enfants de sans-papiers ? Dans quelle peur ? Cinéaste en colère, Romain Goupil s’est entouré d’écoliers pour raconter une histoire d’expulsion dans un film survolté et quand même joyeux.




Près de trois décennies après Mourir à 30 ans, son premier film, qui obtint la Caméra d’or à Cannes en 1982, Romain Goupil se demande comment on peut aujourd’hui mourir à 10 ans. Son nouveau film, Les Mains en l’air (en salle le 9 juin), résonne de ces histoires d’enfants scolarisés qui, parce que leurs parents sont sans papiers, “crèvent” de peur. 

En France, l’actualité se fait parfois l’écho de mésaventures d’enfants et de parents tombés de la fenêtre de leur appartement envahi par la police : des histoires relayées par le précieux Réseau éducation sans frontières, mouvement militant en première ligne depuis des années sur la question.

“Dans quel état d’angoisse devaient vivre ces gens ?”,

se demande Goupil, cinéaste en colère dont tous les films puisent leurs ressources dans ses propres vibrations de citoyen affligé.

La question des sans-papiers forme depuis une quinzaine d’années un point de fixation crucial de sa révolte : après un premier appel de cinéastes en 1997, initié en compagnie d’amis proches (Arnaud Desplechin, Pascale Ferran, Claire Denis, Tonie Marshall…), Goupil n’a cessé d’accompagner les initiatives des cinéastes français mobilisés en bloc, jusque dans le récent court métrage réalisé en soutien aux travailleurs sans papiers en grève (On bosse ici ! On vit ici ! On reste ici !).

Les Mains en l’air raconte l’histoire d’une bande de copains de CM2 qui décident de protéger leur camarade Milana (émouvante Linda Doudaeva), d’origine tchétchène et menacée d’expulsion. L’envie d’écrire ce film est née de ce sentiment de colère grandi sous le règne de Sarkozy, Besson et Hortefeux. Goupil s’en explique :

“En lisant plusieurs faits divers récents, à Amiens, Angers ou Paris, je me suis dit : il y a un truc qui ne va pas. C’est une horreur, ce qui se passe ici. Avec le débat sur l’identité nationale, on est arrivé à un sommet. C’est la théorie des trois “i” : immigration, insécurité, identité nationale ; on mélange sans arrêt les trois notions. Du coup, le gouvernement fait croire aux gens qu’il y a un lien entre l’immigration, l’illégalité et le désordre. Les étrangers, c’est l’insécurité, et il faudrait lui opposer un ordre, un entre- soi : tout ce que je déteste.”

Les quotas d’expulsion le scandalisent plus que tout :

“Cela m’insupporte : j’en ai discuté avec mes amis et en même temps, je n’arrivais pas à me faire entendre. Je me heurtais à une impuissance généralisée.”

Goupil a choisi de faire démarrer le film en 2067 (le 22 mars, date qui correspond au début de la contestation étudiante de 1968). Le spectateur découvre une vieille dame (Milana) qui raconte ses souvenirs d’enfant de sans-papiers : voilà ce que j’ai subi en France lorsque j’avais 10 ans. Elle précise :

“Je ne me souviens plus qui était président de la République en 2009.”

L’ironie du film tient en partie dans cette amorce en forme de promesse d’un récit aussi fantaisiste qu’engagé. Le fait d’effacer le nom du président actuel de la mémoire de l’héroïne dit bien la volonté de Goupil d’éviter de transformer son film en un simple tract militant. C’est aussi une manière d’assumer que les faits racontés s’appuieront sur des souvenirs ambivalents, faits d’omissions, de mensonges, de raccourcis : les enfants ont-ils réellement dû lever les mains en l’air en sortant de la cave où ils se cachaient ?

“Les Mains en l’air est le contraire d’un film militant ; c’est un film d’impuissance. Comme tous mes films d’ailleurs, de Mourir à 30 ans à Lettre pour L…”

Ligne de conduite de Romain Goupil :

“Se moquer de soi-même sans cesse, chercher dans un plan la contradiction avec celui qui le précède ; affirmer une chose et démontrer aussitôt le contraire. La dérision, c’est presque une façon de vivre.”

Son travail de cinéaste se nourrit de ses interventions publiques comme de ses images, et Romain Goupil sait qu’il “fait de l’ombre” à ses films. Parce qu’ils s’arriment toujours à son regard sur le monde et à la manière révoltée d’y trouver sa place, ses projets se font naturellement étiqueter de “politiques”.

“Les Mains en l’air s’occupe d’un truc fondamental : protéger les plus faibles, dire haut et fort que l’on vit dans un monde commun et que pour défendre cette idée, on est prêt à faire Croix de bois, croix de fer.”

Faire du cinéma politique se fonde chez lui sur une préoccupation permanente : vivre ensemble, se protéger de l’exclusion, lutter contre les nationalismes, autant d’obsessions qui l’ont poussé à s’engager dans des luttes multiples (la Bosnie, la Tchétchénie, jusqu’à son soutien critiqué en faveur de l’intervention armée en Irak, au nom de son internationalisme).



Source : LES INROCKS 

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