« Prouvé » par Le Figaro : le travail c’est la santé
par Ugo Palheta
Contredisant des millions de manifestants et… Henri Salvador, Le Figaro chante les louanges du gouvernement et de sa réforme reculant l’âge de départ en retraite
(entre autres bénédictions) en affirmant que « partir plus tôt en retraite peut nuire à la santé » [1].
Défendre cette réforme, c’est une opinion. Mais instrumentaliser une étude en la faussant, c’est un travail… de faussaire. Du journalisme, ça ?
Faisant parler les morts en faveur du gouvernement, le journal de Dassault se gargarise en fait d’une prétendue découverte, issue d’un rapport publié par l’Institut
allemand pour l’étude du travail (en anglais : « Institute for the Study of Labor ») [2]. Un rapport dont Laurence Desjoyaux, péremptoire, tire ainsi la leçon pour Le Figaro : « Partir plus tôt
en retraite ne permet pas forcément aux ouvriers d’en profiter plus longtemps. Au contraire, […] cela augmente les chances de mourir prématurément ».
Pour saisir le sens et les limites de cette « découverte », il faut revenir à l’étude elle-même [3].
En réponse à la crise internationale de l’industrie sidérurgique à la fin des années 1980, le gouvernement autrichien avait modifié la législation dans certaines
régions concernant l’âge de départ en retraite pour permettre aux ouvriers de ces régions de partir à 55 ans au lieu de 58 ans (pour les hommes) et à 50 ans au lieu de 55 pour les
femmes.
Les auteurs du rapport ont ainsi profité de cette réforme pour étudier l’impact de l’abaissement de l’âge de départ en retraite sur la mortalité. Le Figaro résume
ainsi le constat formulé par les chercheurs de la manière suivante : « Pour les hommes, partir à la retraite un an plus tôt augmente de 13,4% les chances de mourir avant 67 ans. Pour les femmes,
en revanche, un départ à la retraite anticipé n’a aucun effet sur l’âge du décès ».
Trop heureuse de l’aubaine, la journaliste du Figaro « oublie » de mentionner une des possibles explications mises en avant par les auteurs : le fait que ce sont
les départs en retraite « involontaires » (c’est-à-dire liés à des licenciements) qui auraient un impact significatif sur la mortalité, et non le fait – en lui-même – de partir à la retraite plus
jeune. Or, cette hypothèse a été testée statistiquement et validée par les auteurs, qui concluent d’ailleurs leur étude sur cette phrase : « Finalement, nous apportons des éléments prouvant que
la retraite précoce involontaire a un effet négatif sur la santé, mais pas nécessairement la retraite précoce volontaire [4]. ». Un peu plus haut dans le rapport, ce résultat était formulé encore
plus nettement, même si la formulation semble contournée : « La retraite précoce concernant les départs volontaires ne semble pas liée à la mortalité, alors que la retraite précoce causée par des
licenciements involontaires [sic] l’est [5] ».
En somme, c’est la mise au chômage précoce qui expliquerait que les hommes ouvriers partis en retraite à 55 ans ont une probabilité plus forte, que ceux partis plus
tard, de mourir avant 67 ans. Les licenciements auraient donc pour effet d’accroître chez les travailleurs âgés les risques sanitaires : à la mort sociale que représente souvent pour eux un
chômage subi succéderait ainsi la mort biologique. De cela, le lecteur du Figaro ne saura rien puisque l’impact du chômage est purement et simplement évincé de l’article. Mais il pourra se
convaincre que la réforme gouvernementale, non contente de sauver les finances publiques, sauvera (ou allongera) la vie de nombreux ouvriers.
Manipulation intentionnelle ? Le pire, c’est que la journaliste du Figaro n’a sans doute pas compris ce qu’elle a lu !
Ugo Palheta
Nos remerciements au correspondant qui nous a signalé cet article du Figaro.
Notes
[1] Voir l’article.
[2] Abrégé IZA, qui se présente ainsi :« ZA is a private, independent research institute, which conducts nationally and internationally oriented labor market
research. Operating as a non-profit limited liability company, it draws financial support from the research-sponsoring activities of the Deutsche Post Foundation. Prof. Dr. Klaus F. Zimmermann
heads the institute as Director. »
[3] Disponible en anglais et en .pdf.
[4] « Finally, we find some evidence in line with the view that involuntary early retirement has a negative impact on health, but not necessarily voluntary early
retirement »
[5] « Early retirement followed by voluntary quits seem to be unrelated to mortality, while early retirement caused by involuntary layoffs is so. »
Source : ACRIMED