Marseille : l’idée bulldozer contre le trafic de drogue

| Par Louise Fessard

Peut-on détruire un bâtiment pour résoudre un problème de sécurité et de trafic de stupéfiants ? À Marseille, les autorités voudraient, selon La Provence, démolir une barre située au Clos La Rose, une cité HLM des quartiers Nord. Une barre, présentée comme un repère de dealers, et devant laquelle, en novembre 2010, un adolescent de 16 ans avait été abattu par des balles de kalachnikov, et un autre de 11 ans blessé. Annoncée jeudi 12 avril dans les colonnes du quotidien régional, l’idée, attribuée au préfet pour la sécurité et la défense de Marseille, Alain Gardère, a pris de court bailleur social, habitants, élus locaux et acteurs sociaux du quartier qui s'interrogent sur une possible manœuvre politique à quelques jours de l'élection présidentielle.



« La Provence m’a téléphoné mardi pour me dire que le préfet de police voulait démolir le bâtiment 41. Je n’ai jamais été consulté, s’étonne Garo Hovsepian, maire PS du secteur concerné (13e et 14e arrondissements). On ne peut pas lancer une telle opération, à huit jours d'une élection majeure, sans consulter la population, le bailleur, les élus. Il faut a minima une réflexion politique prospective avant de faire table rase ! » Même indignation de Treize Habitat, l’office HLM des Bouches-du-Rhône qui gère les 734 logements sociaux de cette cité construite en 1963. « On veut casser le thermomètre mais la fièvre sera toujours là », remarque son président Christophe Masse, élu socialiste marseillais.

L’idée d'une destruction avait émergé début 2012 lors d'une des réunions mensuelles du principal bailleur des Bouches-du-Rhône avec le préfet de police. « Mais ce n’était qu’une hypothèse très conditionnelle, qui restait suspendue à beaucoup de questions et à une consultation des habitants : est-il possible techniquement de ne détruire que le bâtiment 41 qui est adossé à d'autres immeubles ? Est-on en position de reloger les habitants ? Le préfet peut-il assurer une présence policière suffisante pour que le trafic ne se déplace pas sur les blocs voisins ? » interroge Christophe Masse.

Contactées, ni la Ville de Marseille ni la préfecture des Bouches-du-Rhône n’ont répondu. Alain Gardère n’a d’ailleurs ni confirmé ni démenti l’information de La Provence. Placé en août 2011 au poste ultra-délicat de “préfet de police” de Marseille à la demande de Nicolas Sarkozy, après une succession de faits divers, cet ancien policier de 54 ans a depuis mené une politique très volontariste et controversée dans l'hypercentre de Marseille, ciblant les vols à l'arraché et poussant la municipalité à prendre un arrêté anti-mendicité. Avec des résultats plus que mitigés. En quatre mois, depuis début 2012, dix personnes ont été tuées à Marseille lors de règlements de comptes (en 2011, quinze règlements de comptes avaient été recensés faisant treize morts).

Même parmi ces anciens collègues, l’idée d'une démolition fait bondir. « C’est quand même un constat d’échec, remarque un policier, référent sûreté (c'est-à-dire spécialisé dans la prévention technique de la malveillance, notamment grâce à l'urbanisme). On ne peut pas détruire une barre au prétexte qu’on n’est pas capable d’y maintenir une vie normale. De toutes façons, cela ne réglerait rien, le trafic se déplacerait. L’aménagement urbain peut faire partie de la réponse, mais il n’a jamais résolu à lui seul les problèmes de délinquance. »

Avant de regretter la tendance du chef de l’État à placer des « superflics » à des postes de préfet « qui demanderaient d’avoir une vision globale et intelligente dépassant la simple approche sécuritaire ». « S’il y a du trafic de drogue, c’est qu’il y a une demande, remarque-t-il. Que fait-on pour la demande ? Combien de policiers formateurs anti-drogue vont faire de la prévention dans les écoles marseillaises ? »

 

La prévention aux abonnés absents

L’idée surprend d’autant plus que le Clos La Rose, une des rares cités marseillaises desservies par le métro, est loin d’être la pire. Le taux de rotation mensuel des locataires (nombre de sortants / nombre de logements) y est bien plus faible que dans le reste du parc HLM de Marseille et près de la moitié des habitants y sont installés depuis plus de quinze ans. « C’est vrai, il y a un problème pour les gens qui habitent la colonne au-dessus de l’entrée 41 (devant laquelle sont postés les dealers – ndlr), ils n’en peuvent plus et plusieurs appartements restent vacants, explique Joël Desroches, directeur du centre social et culturel voisin de Val Plan Bégude. Mais le bâtiment qu’on veut détruire a deux autres entrées où il n’y a aucun souci. Ces habitants là ne comprennent donc pas et sont en colère. »

« Ce ne sont même pas des gens du Clos La Rose qui trafiquent, précise Christophe Masse. Les dealers se sont installés là car ils ont vu que l'emplacement, proche du métro et disposant de plusieurs sorties, était stratégique. » De façon plus générale, Joël Desroches juge le projet « complètement démesuré ». « Malgré le manque de culture, d’équipements publics, etc., La Rose reste une cité aérée où il fait bon vivre, estime-t-il. Si on détruit ici, que va-t-on faire à Félix Pyat, Fond-Vert, ou la Castellane qui sont bien plus lugubres ? »

Le maire de secteur, Garo Hovsepian, remet lui sur la table la question des effectifs de police, soit vingt agents au commissariat du 13e arrondissement, « dans le meilleur des cas deux patrouilles de cinq ou six policiers pour 95 000 habitants ». « Rien n’a changé depuis le règlement de comptes de novembre 2010, nous avons les mêmes effectifs, grince-t-il. Cette ville est à deux vitesses pour les questions de sécurité. »  

Et comme le rappelle La Marseillaise, « la brigade des stups de la sûreté départementale, qui travaille sur 144 cités des Bouches-du-Rhône, compte vingt agents. Soit au mieux quatorze fonctionnaires par jour en activité ». « Sachant qu’il faut 3 à 6 semaines d’enquête, planques et écoutes pour faire tomber un point stups (pas un réseau), autant attraper des gnous avec un filet à papillon », conclut notre collègue.

Après la vague d’émotion suscitée par ce règlement de comptes, le préfet de l’époque avait déclenché le plan Brennus, multipliant les opérations coup de poing dans les cités marseillaises, encerclées par les CRS tandis que la police judiciaire contrôlait habitants, voitures, caves et toits des immeubles. « Ça a déstabilisé le trafic pendant un moment, puis c’est revenu », soupire Garo Hovsepian. Joël Desroches se souvient, lui, qu’en désespoir de cause, un car de CRS avait même été positionné 24 heures sur 24 en face du bâtiment 41. « Les jeunes étaient là, ils ne trafiquaient plus, mais le face-à-face était assez cocasse », raconte-t-il.

Le préfet de région, Hugues Parant, avait également promis à l’époque une plus grande coopération entre forces de sécurité et acteurs locaux pour inscrire la lutte contre les trafics de drogue et d’armes dans la durée. Un peu manqué...

 

 

Source : MEDIAPART

Tag(s) : #actualités
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