reportage le 26/06/2012 par Eric Dupin
A Notre-Dame-des-Landes, l'insolite alliance entre paysans et hommes des bois
I/ Ma randonnée sur le terrain de l'aéroport contesté
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Soyez francs. Quand avez-vous entendu parler, pour la première fois, de Notre-Dame-des-Landes, paisible bourg de Loire-Atlantique situé à une bonne vingtaine de kilomètres au nord de Nantes? Peut-être en juillet 2011. Le 9 de ce mois, en un exceptionnel moment de communion, Eva Joly et Nicolas Hulot, les deux candidats à la primaire d’EELV, y sont venus manifester, flanqués de Cécile Duflot, contre le projet fort avancé d’y implanter un nouvel aéroport d’envergure (en lieu et place de celui qui existe sans qu’il ait démérité).


Plus sûrement en novembre 2011, lorsque la candidate Joly a imprudemment jeté un ultimatum aux socialistes, les sommant de renoncer à cet aérodrome, ainsi qu’à l’EPR de Flamanville, pour prix de l’accord politique en discussion (qui sera peu après conclu sans qu’aucune de ces conditions ne soit remplie). Notre-Dame-des-Landes entre alors dans le petit cercle des sujets à haute inflammabilité politique, nourrissant par ricochet la chronique médiatique.

Jean-Marc Ayrault, maire de Nantes, étant l’un des plus farouches défenseurs de cet investissement aéroportuaire, au nom du développement du Grand-Ouest, la vive contestation locale qui l’accompagne a failli compromettre son entrée à Matignon. En mars, une grève de la faim des opposants, en plein centre de sa ville, donna une piètre idée de sa capacité à résoudre les conflits. François Hollande fut contraint de lui tordre le bras pour le pousser à accepter, par le truchement de la fédération socialiste, une sorte de compromis (et non de moratoire comme il fut parfois dit). Les paysans frappés d’expulsion ont obtenu l’assurance de demeurer sur place en attendant l’épuisement de tous les recours juridiques.

UNE AFFAIRE D'UN DEMI-SIECLE

Bref, cette histoire d’aéroport n’a que récemment acquis une forte visibilité politique et médiatique. Elle est pourtant ancienne et complexe (voir les argumentaires charpentés présentés à la fois par les défenseurs et les opposants du projet). Pourquoi les uns s'acharnent-ils à doubler un aéroport existant, qui est loin fonctionner à toute sa capacité ? Pourquoi les autres s'y opposent-ils avec cette ténacité ? A travers ces deux visions du monde, une promenade s'imposait. Et d'abord sac au dos, en tenue de randonneur, sous le crachin dominical.

L’idée de transformer le charmant bocage qui entoure Notre-Dame-des-Landes en pistes d’envol est vieille d’un demi-siècle. C’est en 1963 que le jeune Michel Tarin, alors âgé de 15 ans, en entend parler pour la première fois. Dés le début des années soixante-dix, ce fils d’une cinquième génération d’agriculteurs se lance dans la lutte contre ce subit oukase de la modernité. L’idée n’était alors rien moins que de faire surgir «le Rotterdam aérien de l’Europe par la création d’un aéroport international de fret au nord de la Loire». C’est ce qu’expliquait, dés 1970, Michel Chauty, alors sénateur de droite de Loire-Atlantique qui deviendra maire de Nantes.

 

En 2012, Tarin, 65 ans, est toujours au premier rang du combat. C’est lui qui a mené la grève de la faim la plus longue (28 jours). Avec son bonnet pour lutter contre le froid et son large collier de barbe blanche, les Nantais le surnomment affectueusement «le Schtroumpf». «Je suis un non-violent», dit-il pour expliquer ce mode d’action quelque peu désespéré. La grande manifestation nantaise du 24 mars, malgré force tracteurs venus des environs, n’avait pas fait bouger d’un pouce l’inflexible Ayrault.

Je le retrouve dans sa ferme proche de Treillières, parfaitement remis de sa rude épreuve. Son exploitation collective a été transmise à des jeunes en 2007. C’est un GAEC, avec vaches laitières et élevage de poulets (en plein air évidemment). Fort d’une tradition de «petite paysannerie solidaire», la Loire-Atlantique est le département où les GAEC sont les plus nombreux. C’est le berceau du mouvement des «Paysans travailleurs», à la naissance duquel a participé Michel, et qui donnera naissance à la «Confédération paysanne». Mise du matériel en commun, ventes directes, refus des errements productivistes de l’agriculture: ce mouvement paysan a joué un rôle précurseur dans bien des domaines.

Or voici que son ancienne exploitation est directement impactée, comme diraient les technocrates, par le futur quoique hypothétique aérodrome. Il fait partie de la vingtaine d’irréductibles qui refusent tout accord avec le puissant groupe Vinci, l’opérateur du projet. Les agriculteurs proches de la retraite ont souvent cédé aux propositions de dédommagement, ou encore ceux qui n’étaient amputés que de quelques hectares. Pas les autres.


«Je suis de plus en plus optimiste sur l’issue de la lutte», confie étonnamment le vétéran. La guérilla juridique des opposants au projet est loin d’être achevée. Il a été blessé par l’attitude d’Ayrault, «un ancien ami personnel», qui n’est même pas venu le saluer lors de sa grève de la faim, alors même qu’il arpentait en candidat le marché voisin. Mais il croit toujours possible une «sortie par le haut». Le vieux militant compte sur les réalités économiques, sur les pressions des écologistes et même sur les évolutions au sein du PS, pour avoir raison d’un projet qui lui paraît de plus en plus anachronique en ces temps de crise.


Il en a gagné des luttes, Michel Tarin, avec ses amis, dont un certain José Bové. Le Larzac, par exemple. C’est parce qu’il se battait contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes que le jeune militant de l'Ouest s’en est allé combattre aux côtés de ceux qui luttaient contre l’extension du camp militaire.

L’époque a pourtant bien changé. En 1981, lorsque la gauche est arrivée au pouvoir, François Mitterrand s’était engagé à donner raison aux insurgés du Larzac. Trente-et-un ans plus tard, François Hollande n’a rien fait de tel pour les insoumis de Notre-Dame-des-Landes. Il a même nommé le principal défenseur du projet à la tête du gouvernement, se contentant de déminer l’aspect le plus gênant de la contestation.

La zone potentiellement maudite de Notre-Dame-des-Landes n’abrite pas seulement des agriculteurs en colère. Elle héberge également une population bigarrée de squatters venus profiter de cette relative indétermination juridique pour vivre selon leurs préférences.

ZONE A DéFENDRE

A l’abri des haies, en bout de chemins, seulement accessibles par des sentiers, une bonne centaine de squatters animent divers lieux. Si les résidents permanents ne sont pas plus d’une quarantaine, près d’un demi-millier de personnes passent dans cette «ZAD» («Zone à défendre») au cours d’une année. Ils sont plutôt farouches et n’aiment guère les journalistes, y compris lorsqu'il présente, comme moi, d'impeccables états de service (Libé, Le Monde diplo, @si).

A quelques kilomètres au nord de La Paquelais, je tombe par hasard sur l’un de ces camps où coexistent divers habitats légers, échappant largement aux normes pavillonnaires. Cabanes aux matériaux composites, tentes de tous styles, voire camions où l’on peut parfois se connecter à internet… Le premier contact est glaçant. Une jeune femme brune me toise comme si j’étais une réincarnation de l’huissier, dépêché par Vinci en visite d'intimidation. Refus poli mais ferme de s’adresser à un journaliste, aussi bien intentionné soit-il. «Ca ne m’intéresse pas.»


 

Deux campements plus loin, Sachin (c’est le nom qu’il m’indique) se montre nettement plus coopératif, même s'il refuse de voir sa photo publiée. Il souligne qu'il n'est en rien le porte-parole de la ZAD. «Je ne savais pas trop quoi faire de mes études et de ma vie», explique ce jeune homme de 24 ans, diplômé d’une «licence de recyclage».

Il ne se voyait pas «gérer des flux de déchets» à longueur de journées salariées. Sachin a effectué un tour de France d’un an à vélo, visitant différents éco-villages ou lieux alternatifs, avant de construire ici...


"Sachin" a finalement choisi de se «poser» dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. «Je n’ai jamais vu autant de solidarité entre les gens et de qualité dans les rapports humains». Avec des camarades venant d’un peu partout, comme cette Allemande qui m’a accueilli dans un anglais impeccable.

Ici, Sachin n’a besoin que de «1000 euros par an» pour vivre, somme qu’il gagne en un mois de petits boulots. Il cultive tomates et courgettes dans son premier potager. Un voisin élève des poules (en se plaignant des chiens mal élevés de la ZAD qui les attaquent). L’autosuffisance est l’objectif d’une communauté pourtant parfois individualiste.



 

Et puis, il y a tout ce qu’offre gracieusement notre société de gâchis. Ces squatters sont les rois de la récup’. La plupart des vêtements de Sachin, comme son blouson de cuir noir qui n’a pas mauvaise allure, viennent de là. La déchetterie voisine est une mine, que l'on va exploiter à la sauvette. Les squatters se servent aussi dans les poubelles bien garnies des supermarchés des alentours.

Le jeune homme, qui vote sans illusion, est pessimiste sur l’issue de la lutte. «On a tout en face de nous, l’Etat, la justice, Vinci, les médias. Le rapport de forces n’est plus en notre faveur. Chaque huissier est accompagné par dix fourgons de gendarmes.»

Ce n’est pas une raison pour baisser les bras. «L’espoir est faible, mais ça vaut le coup d’être là. Cela permettra peut-être d’éviter d’autres projets. Ils se diront qu’ils auront dix ans d’emmerdes à subir…»

Sans fraterniser outre-mesure, paysans en lutte et squatters militants sont liés par une sorte d'alliance objective. Les tracteurs des premiers viennent en appui aux seconds en cas de tentative d'expulsion. Et les habitants sans droits ne rechignent jamais à participer aux actions de lutte contre l'aéroport. Ce fut encore le cas jeudi dernier lors de la tentative de blocage de la mairie de Notre-Dame-des-Landes pour protester contre les conditions de l’enquête d'utilité publique sur l’eau, nouvelle étape de mise en œuvre du projet.

"Je n'ai pas pu y aller, j'avais rendez-vous chez le vétérinaire pour mon chien", s'excuse Sachin. Il en veut à la presse locale d'avoir monté en épingle un des rares incidents opposant les deux groupes. Il y a deux mois, un agriculteur irascible a foncé du haut de son tracteur sur un squatter qui préparait un char de manifestation sur son chemin. En retour, ce dernier lui a donné un "pain" et plainte fut déposée. "C'est la première fois qu'il y avait un truc comme ça. La plupart du temps, on a de bons rapports avec les agriculteurs, parfois même d'amitié, c'est moins vrai avec les habitants des environs".

Dans les communes avoisinantes, ces "hommes des bois" sont effectivement moins bien perçus. Que les allergiques aux trop belles histoires des faibles qui, par principe, ont raison contre les forts se rassurent. On verra dès demain que l’on peut aussi prendre la question par un tout autre bout.


Source : ARRET SUR IMAGES

 

Tag(s) : #environnement
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