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Owni secoue la galaxie de l’info

WEB . Spécialisé dans le journalisme de données, le site français collabore avec Wikileaks et a été primé aux Etats-Unis. 

Par FRÉDÉRIQUE ROUSSEL

 

 



C’est comme si une conjonction astrale avait projeté Owni dans une autre dimension. Fin octobre, sa trajectoire a pris un coup d’accélérateur. Le site d’information français spécialisé dans le journalisme de données, c’est-à-dire la mise en scène de l’info grâce aux outils du Web, a obtenu de concert argent et reconnaissance. Focus sur un objet internet non identifié qui défend l’idée que l’accès à l’information est une des réponses à la crise des médias.

Un tableau de noms et de chiffres repose sur le bureau de Nicolas Voisin, rue de Malte, près de la place de la République, à Paris. C’est la répartition du capital de la société depuis la levée de fonds. La première de son histoire, réalisée le 22 octobre. «Ce jour-là, nous devions boucler le tour de table initié en août», raconte-t-il. Petite course contre la montre : l’opération devait être close avant minuit. L’affaire se termine par des SMS, du style «C’est O.K.», et par des mails qui valident les bons de souscription. La société 22 Mars, éditrice d’Owni, a réuni 340 000 euros, représentant 12,73% du capital, avec l’entrée d’une dizaine d’investisseurs, dont Xavier Niel (Kima Aventures) et Marc Simoncini (Meetic). C’est un peu moins que prévu car, dans les derniers jours, des événements inattendus ont bousculé les plans. Un certain Julian Assange a fait appel à Owni. Un prix réputé est tombé du ciel en provenance de Washington. «On va refaire une levée de fonds internationale de 1,5 million d’euros avant la fin de l’année», ajoute Nicolas Voisin, 32 ans.

 
Aux origines…

«Je suis un entrepreneur, pas un journaliste.» Elle est loin l’époque où, à 19 ans, il fondait son entreprise de skate sur le bassin d’Arcachon, après une adolescence en Martinique. Passage au groupe Hersant à Tahiti, d’où il a ramené Kaina, une chienne affectueuse qui se balade avec nonchalance entre les bureaux studieux, puis veille pour DDB Omnicom à Bordeaux. Il met les pieds dans la blogosphère en 2005, avec Nuesblog, carnet de notes d’un citoyen addict du Web. Après une deuxième réponse négative à un roman, il a élaboré une philosophie de son avenir. «Il valait mieux que je me confronte tous les jours à une audience pour jouer avec les curseurs qu’attendre six mois dans une cave qu’un éditeur me réponde qu’il y avait trop de fautes d’orthographe dans mon manuscrit !» C’est l’époque où le bouillonnant Voisin surfe entre le Sud-Ouest et Paris, participant aux premières heures du journalisme citoyen. Il veut apporter sa pierre au traitement de la présidentielle. «Plutôt que de faire le petit roquet contestataire en crachant sur les médias, j’ai voulu prendre le risque.» D’où le Politic Show, qui testera podcast et web-TV avec de longues interviews des candidats. Début février 2008, il crée sa société, baptisée 22 Mars, avec l’avocat Franck Vasseur et le soutien de l’ancien PDG d’Alstom Pierre Bilger (5%).

 
Devenir grand

«Brique après brique», la petite société se construit en fournissant des sites à des entreprises et en formant des bibliothécaires. Nicolas Voisin a compris que «la plus grande valeur d’un site ne tient pas à la vidéo ou à la ligne de code». Le chiffre d’affaires se monte à 234 000 euros en 2009, en voie de triplement cette année. Son travail d’écureuil lui a permis de financer ce fameux «Objet web non identifié», car il sait, depuis le Politic Show, que l’info de qualité coûte cher et qu’il faut la financer. Modèle économique : allier non-profit et profit (la vente de sites et d’applis, le conseil), ce qui permet d’être rentable, de maîtriser son capital et d’être indépendant de la publicité ou de l’abonnement. Modèle éditorial : faire collaborer les journalistes avec des développeurs et des designers pour produire du journalisme de données. Si l’information représente le cœur, la forme est capitale. Loguy, le directeur artistique, passe une tête : «Je viens de la pub, je sais qu’il faut faire beau. En nous interdisant la publicité, nous pouvons faire une info plus belle.»

 
La bombe Wikileaks

A minuit, ce même 22 octobre, Owni balance son application permettant de visualiser les 400 000 documents confidentiels de l’armée américaine en Irak divulgués par Wikileaks. Le frenchy a reçu commande de Julian Assange himself, l’Australien qui fait tourner en bourrique le Pentagone. De sa propre initiative, en juillet, Owni avait pondu une application pour parcourir les 75 000 documents sur l’Afghanistan. C’est Wikileaks qui, le 8 octobre, lui demande le même job pour une autre livraison. Le «datajournaliste» Nicolas Kayser-Bril et le développeur Pierre Romera prennent l’Eurostar le 12 octobre et rencontrent Assange. En quatre jours, l’application peut être mise sur les rails. Deux jours avant que Wikileaks leur confie la base de données, Assange prend contact. Mais est-ce bien lui ? Pierre Romera a une idée : si on lui demandait quel était le parfum du narguilé qu’ils ont fumé ensemble à Londres ?«Raisin», répond l’interlocuteur. Ambiance de secret et fumet de paranoïa… Owni balance alors son outil de crowdsourcing qui permet aux internautes de contribuer à l’émergence des données intéressantes.

 
La récompense de l’ONA

Deux jours après la livraison des Irak Logs, quatre hommes décollent pour Washington. Un peu frissonnants. «Direction l’hôtel Renaissance Marriott, à 300 mètres de l’un des principaux bureaux du FBI et 3 kilomètres de l’Intelligence Center de la CIA», relate Nicolas Voisin amusé. Là, le 30 octobre, la Online News Association (ONA) remet un prix à Owni pour son innovation journalistique. Une consécration et une première française. Le trophée en plastique transparent trône désormais dans l’entrée de la «soucoupe», le petit nom donné aux locaux d’Owni. Sur place, les frenchies se sont fendus d’un discours. «Nous leur avons dit comment on travaille, expliqué - contrairement à eux - comment on gagne de l’argent, et qu’ils sont les bienvenus à notre prochain tour de table», s’amuse Voisin. Il y avait là des géants comme CNN ou MSNBC, qui vient de racheter cher le site de journalisme de données Everyblock. Le jeune patron égrène le petit tas de cartes de visites ramenées. De quoi voir loin. Quelqu’un surgit dans son bureau avec un iPad : «Ça y est Nicolas, on a réussi, regarde.» Owni glisse sous les doigts.

 
La soucoupe du «digital journalism»

A quoi tient donc le succès d’Owni, qui revendique 250 000 visiteurs uniques par mois ? Au journalisme augmenté, lance son fondateur. Sur les vingt salariés, un tiers sont développeurs, un tiers journalistes, un tiers designers. Et près de 900 blogueurs apportent leur contribution. Deux tiers des articles sont produits par la rédaction, les autres repérés sur la Toile. Quand un sujet se dégage en conférence de rédaction, il est attribué à au moins deux autres membres de l’équipe pour l’enrichir (infographie, serious game…). Pas de rédacteur en chef. Tous ont un droit de veto. «Si une personne dit "non" à un article, il ne passe pas», explique Voisin, qui assume les responsabilités de directeur de la publication.

Cantonné aux thématiques d’Internet, des libertés et de l’avenir des médias, Owni a élargi sa palette : il vient d’ouvrir OwniMusic, OwniPolitics, OwniSciences et OwniUE. D’ici à la fin de l’année sera lancée la «War Room», collaboration de statisticiens, journalistes, hackers, lobbyistes sur les questions de guerre et de cyberguerre.

Outre le modèle, la recette d’Owni tient dans ces interfaces agiles qui mettent en scène l’information et permettent de tracer un chemin dans une masse de données. Exemples : la géolocalisation des bureaux de vote en France, une carte collaborative pour localiser les centres de soin du sida dans le monde (pour France 24), une iconographie dynamique des ministres mêlés à des scandales… Faire du beau et de l’intelligent pour sublimer les contenus dans un univers groggy d’informations.

Source : LIBERATION

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