Publié le 1er juin
Pour écrire un texte comme celui-ci, je suis bien obligé de partir de ma propre expérience, de partir du particulier pour discuter de l’universel. Je suis actuellement incarcéré en détention préventive à la prison de la Santé, à Paris. J’espère ici réussir à donner un bon aperçu de cette vie de chien, une plongée en apnée dans l’univers carcéral. Je suis pour la destruction totale de tous les lieux d’enfermement quels qu’ils soient, et avant mon incarcération, je participais déjà aux luttes anticarcérales et avais donc développé un certain intérêt pour la condition du prisonnier, et pourtant la prison telle que je la vis aujourd’hui est assez éloignée de la façon dont je pouvais me la représenter concrètement vue de l’extérieur. Ce texte tend donc à s’inscrire dans la modeste perspective de faire visiter cette taule, sans compromis et à titre de contre-information, à tous ceux que cela intéresse, mais surtout pour tous ceux qui luttent contre la taule et pour qui, une meilleure connaissance de ce qu’est réellement la prison ne pourra qu’aider à mieux la combattre et à comprendre les mécanismes qui s’y jouent. Ce texte est donc basé sur mon expérience personnelle ainsi que sur des témoignages et informations recueillies auprès d’autres détenus à la maison d’arrêt de la Santé, qui n’est qu’une taule comme une autre. Il s’adresse à tous ceux, forcément révolutionnaires, qui souhaitent la destruction de tous les lieux d’enfermement, mais aussi aux proches de détenus et aux détenus eux-mêmes.
Ça pue, ça s’effrite, ça tombe, ça s’écroule, ça fuit, ça suinte. Ils sont fiers de leur prison. Elle a presque 150 ans et la moitié de ses bâtiments se sont déjà effondrés, ou sont en tout cas fermés en prévision d’une rénovation d’ampleur. Il reste le Bloc A et ses quatre étages. Au rez-de-chaussée, les détenus considérés comme calmes et sans problèmes, trois détenus par cellule de 9m². Au premier étage des cellules de 9m² où sont parqués quatre détenus par cellule, parfois sur un matelas improvisé au sol. Il y a une salle de douche infestée de champignons, de cafards et de déchets qui s’entassent, on y attrape facilement hépatites et autres maladies. A l’intérieur, 4 douches mal séparées pour la cinquantaine de détenus de l’étage, dont une totalement ouverte, pour bien marquer le fait qu’il y a une hiérarchie entre les détenus, et que c’est les détenus eux-mêmes qui la mettent en place. Selon les matons, c’est l’étage où sont parqués les détenus les plus indisciplinés. Le troisième, c’est à peu près la même chose en plus calme (soi disant), et à trois par cellules (ça aide), pour l’instant en tout cas.
Le deuxième étage est lui, réservé aux détenus travailleurs, réputés plus calmes, car souvent portés sur leur réinsertion et la carotte des remises de peine. Une partie travaille pour le service général (activité liée à l’entretien et au fonctionnement de la prison), une autre pour la régie industrielle des établissements pénitentiaires qui fabrique des pièces destinées à l’administration elle-même. Mais la plus grande partie de ces forçats travaille pour le compte d’entreprises extérieures privées (façonnages, conditionnements, montages, assemblages, petits usinages), qui se gardent toujours de s’en vanter sur leurs sites internet et leurs catalogues. Les détenus n’ont généralement aucun moyen de savoir pour quelle boîte ils travaillent. A la Santé, on travaille généralement pour Paris Façonnage, Lacoste, Dior, et d’autres, souvent des marques de luxe, selon les périodes. Dans d’autre prisons en France, on peut travailler pour Bouygues, EADS, EDF, Givenchy, Bic, L’Oréal, Orange, 3M, Yves Rocher, Renault, Haribo, etc. Cependant, il n’y a pas de contrat de travail en prison puisque c’est interdit par le code pénal. Ce qui veut dire pas de SMIC, pas de congés payés, pas de droit syndical, pas d’arrêt maladie. L’inspection du travail n’a pas le droit de se rendre inopinément en prison : elle doit être invitée par l’AP (administration pénitentiaire), autant dire jamais. Les conditions de travail sont donc difficiles et les machines sont souvent vieilles, défectueuses et très dangereuses. Le travailleur pour les entreprises extérieures est généralement payé à la pièce, et ce sont les boîtes en question qui fixent les cadences horaires. En gros et en moyenne, le « salaire » va de 200 à 300€ cantinables par mois (desquels est parfois prélevée une certaine somme sans accord du détenu pour rembourser les parties civiles de son affaire). Ils sont à peu près 260 à travailler (selon la Santé) pour autant de M² d’ateliers. Ceux qui ne travaillent pas pour des entreprises extérieures mais pour l’industrie carcérale à proprement parler et la prison elle-même gagnent encore moins, et sont attachés aux tâches trop ingrates pour qu’un maton ou un employé sous juridiction du code du travail ne l’effectue lui-même. Laver la crasse, la merde, le sang, servir la gamelle, porter des palettes de cantine, etc. Cela rentabilise le fonctionnement de la prison grâce à cette manne financière d’un travail pénible très peu rémunéré mais violemment cadencé. Les entreprises privées elles, s’offrent le luxe d’une délocalisation à domicile. Si l’AP présente le travail en prison comme une « activité fondamentale pour la réinsertion future des personnes incarcérées ». Il n’y a en fait que chantage à la remise de peine et à la misère. Le travail est devenu nécessaire à beaucoup de détenus car contrairement à certaines idées reçues, il faut de l’argent pour vivre en prison. Les repas sont immangeables et bourrés de calmants donc il faut pouvoir cantiner, ce qui équivaut à faire des courses à la « supérette » de la prison à des prix exorbitants, y compris pour des produits de première nécessité (entretien, hygiène, timbres, stylos, clopes...). Tous les dimanches, on remplit son bon de cantine, et les produits ne seront récupérables que 9 ou 10 jours plus tard. Les produits, souvent dégueulasses et parfois à la limite de la péremption, sont vendus plus chers que dehors (30% plus cher en moyenne), pour l’AP c’est un vrai business.
En taule, il n’y a pas de monnaie, elle est interdite. Chaque détenu dispose d’un « pécule » virtuel (comme un compte en banque que l’on ne peut pas gérer soi-même). Ce pécule est alimenté par ce que le détenu avait en poche au moment de son incarcération, puis par des mandats cash ou virements provenant de l’extérieur, dont une partie, à partir d’un certain montant, est légalement volée par l’AP pour ses propres « frais ». En fait, tout est tellement cher, qu’une grande partie des prisonniers a recours aux petits trocs plus ou moins consentis pour les fins de semaines difficiles. La monnaie d’échange la plus courante est le shit, mais aussi les clopes, le rechargement de batterie des téléphones portables et parfois les galettes de crack, mais cela est plus rare. La came et les téléphones arrivent par le parloir ou avec la collaboration incontestable de la matonnerie. La tolérance de l’AP est à géométrie variable étant donné que tout cela achète efficacement la paix entre détenus et AP, mais pas entre détenus, donc tout benef’.
La première chose qui est faite quand on arrive en taule, c’est la carte d’identification. Elle joue à peu près le même rôle que la carte d’identité dehors. Dessus, une photo prise à l’arrivée qui restera jusqu’à la fin, de sorte que l’on soit confronté chaque jour à la gueule de déterré qu’on avait en fin de garde à vue. Un code barre directement lié à l’empreinte biométrique de la paume de la main. Nom, prénom, numéro d’écrou, date de naissance. Il faut nécessairement la porter sur soi pour tout déplacement en dehors de la cellule et la montrer au maton quand il fait l’appel.
Les autres blocs sont en travaux et en ruine. D’où notamment la surpopulation si intense à la Santé. Mais il y a d’autres bâtiments. Celui des semi-libérés qui doivent rentrer tous les soirs en enfer (un à deux par cellule, seul bâtiment « propre » de la taule), et les divisions 1 et 2, qui ne sont composées que de cellules individuelles, denrée rare à la Santé, pour laquelle il faut s’inscrire sur une liste d’attente très théorique. En réalité, il n’y a que trois façons d’obtenir une cellule individuelle : La compromission : balancer, être docile, lèche-cul et serviable. L’attente interminable : de quatre mois à un an d’attente en théorie, mais l’AP a toujours le dernier mot quoi qu’il arrive, et rien n’est acquis d’avance ou garanti par un réel règlement. D’ailleurs les détenus n’ont pas vraiment accès à un quelconque règlement intérieur (qui doit bien exister quelque part, histoire de dire). La lutte et les divers moyens de pression : bloquer la promenade, les bureaux des directeurs et chefs de détention jusqu’à satisfaction, il faut être déterminé et combatif et réitérer fréquemment si nécessaire. L’avocat peut également exercer des pressions sur l’administration, mais on ne peut pas compter que sur lui, il ne peut que vous appuyer dans ce que vous faites déjà vous-mêmes...
La première division et la deuxième division sont assez similaires, bien que la première soit plus propre et avec une cours de promenade plus adaptée à l’être humain. Je précise que la promenade en prison, c’est de la merde, barbelés, caméras, espaces confinés, entassement, une heure à tourner en rond et à se rentrer dedans comme deux ours dans une chambre de bonne. Et je ne tolère plus d’entendre sans cesse que les prisonniers sont enfermés 23 ou 22 heures sur 24, non, les prisonniers sont enfermés 24/24. Les inscriptions aux activités (qui fonctionnent également sur le principe très théorique de la liste d’attente, mais en fait dans un arbitraire total) y sont plus accessibles également qu’en deuxième division.
Les cellules individuelles font 5,20m², on ne peut pas vraiment étendre ses bras en large. Les fenêtres, placées très en hauteur dans les cellules sont à la fois finement grillagées et barrées, si bien que lorsque que l’on regarde à l’extérieur, on finit par loucher ou avoir mal aux yeux tant les mailles du grillage sont serrées. Tout est fait pour qu’on s’y sente mal et seul.
Trois fois par jour la gamelle.
7h30 : « Petit déjeuner », un minuscule rectangle de beurre, de la chicorée imbuvable, un sachet de lait en poudre et un sachet de sucre. Et le dimanche une viennoiserie dégueulasse ou mal décongelée. Une baguette de pain est distribuée quotidiennement aux alentours de 10h30.
11h30 : Premier « repas ».
17h30 : Deuxième « repas ».
Une bonne partie des détenus (il faut pouvoir se le permettre) ne touche pas à la gamelle. Les repas sont toujours les mêmes. Abats, langue de bœuf, poisson non identifiable, saucisses tièdes et mal cuites, plats gorgés d’eau, déraisonnablement gras. L’AP ne sert pas de repas adaptés aux végétariens, les seules dérogations sont pour le Halal et le Casher, il faut alors s’enregistrer auprès d’un maton en tant que « musulman » ou « juif ». De plus, les informations tournent depuis ceux qui sont exploités en cuisine que des tranquillisants en poudre sont ajoutés aux plats. Se nourrir exclusivement à la gamelle équivaut aussi à s’exposer à une diarrhée longue comme la détention, ce qui est fâcheux lorsque les toilettes sont partagées par quatre détenus dans une cellule mal aérée de 9m².
La gamelle et ses horaires relativement fixes participent au balisage temporel du détenu et à la routine insoutenable de la détention. Car tous les jours sont à peu de choses près les mêmes, tout est à heure fixe : distribution du courrier, de la presse, gamelle, promenades, distribution du pain, activités s’il y a. Le détenu finit donc par se créer sa journée type, qu’il va répéter au loisir des juges. Le programme TV quotidien, l’heure du café, de la lecture, etc. Plus encore en cellule individuelle qu’au bloc, les prisonniers finissent tous par répéter une même journée standard, optimisée avec les moyens du bord. Pour se rendre compte de cela, il suffit de s’imaginer que l’on se réveille chaque jour dans la journée précédente et qu’on la recommence de bout en bout, jusqu’à finir par l’optimiser de A à Z. Cela rend fou très rapidement et on perd assez vite toute notion de réalité.
En taule, il existe une réelle psychose de l’évasion qui serait considérée comme le signe d’une défaillance extrême de l’établissement. Aussi, cet état provoque toute une série de contraintes au nom de la sécurité qui brise le principe de la loi censée limiter la détention à la privation de la « liberté d’aller et venir ». Elle explique la politique du « porte-clefs » (ouverture, fermeture continuelle), la violation de l’intimité du détenu, elle provoque et justifie le recours à des moyens de contrôle et de contrainte souvent humiliants. Plusieurs fois par semaine, les matons entrent en cellule au cri de « sondage des barreaux ! » et frappent les barreaux à l’aide d’un tuyau en métal, souvent le matin, pour garantir l’effet de surprise et vérifier que les barreaux ne sont pas limés ou fendus.
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