Après les agriculteurs, des salariés de l’agroalimentaire victimes des pesticides… à qui le tour ?

par Générations Futures, Solidaires, ATTAC, Phyto-victimes


En France, sur certains ports, des Hommes, des salariés de l’agroalimentaire surtout, mais aussi des dockers et des chauffeurs routiers, se retrouvent exposés, parfois surexposés, à des pesticides qui servent à la conservation de céréales stockés dans des silos ou des hangars et transportés dans des camions. Ces faits méconnus doivent être rendus public.

Alors que leur métier ne les prédisposait à se retrouver en contact avec les pesticides, des salariés d’une entreprise d’agroalimentaire bretonne qui se trouve être l’, « un des acteurs majeurs de la nutrition animale sur le Grand-Ouest », déclarent aujourd’hui publiquement avoir été intoxiqués par des pesticides (dont certains interdits au moment des faits) se trouvant dans des hangars stockant des céréales. Ces salariés de l’agroalimentaire demandent aujourd’hui justice et réparation.

Certains d’entre eux connaissent depuis de nombreux et lourds problèmes de santé.

Rappel des faits

Fin février 2008, le personnel de l’entreprise d’agro-alimentaire affectés au silo se rend compte que les céréales stockées chez Eolys sont couvertes de vermines (charançons, sylvains, moucherons). Dans ce hangar de 20000 tonnes de blé, 95% avaient été séchés avant la collecte. Cette infestation se reproduira ensuite en janvier 2010. Cette situation n’est pas un coup de malchance. En effet, depuis quelques temps, les dirigeants ont décidé de ne plus faire fonctionner la ventilation la nuit, pour faire des économies. Rapidement les céréales ont commencé à s’échauffer et du coup, l’infestation a commencé. Du 23 février au 27 février 2009, un premier traitement en surface a été réalisé par un opérateur de chez Eolys puis un second du 9 mars au 20 mars 2009.

Du 1er au 8 avril 2009 : « après utilisation de produit pesticides contenant du dichlorvos1 pour traiter des céréales infestées par des vermines2 », certains salariés ont commencé à présenter des symptômes qui réapparaitront régulièrement ensuite (maux de tête, douleur au ventre, picotement de la langue, trouble du sommeil, saignement de nez, aphtes dans la bouche, brûlure au visage et cuir chevelu, problème respiratoires, crachats sanguins etc.). Durant cette période l’un des salariés, M. Laurent Guillou, prend 2 témoins attestant que le produit utilisé était bien du NUVAN TOTAL.

Alors que le blé a été bloqué et ne partait plus à l’usine de transformation, l’autorisation est donnée le 27 avril à l’usine de reprendre la transformation.

6 mai 2009 : les salariés déposent plainte.

Des échanges s’engagent lors de réunions avec les membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), mais lors d’une réunion se tenant le 22 mai la direction minimise les faits et déclare que 180 litres de NUVAN TOTAL ont été utilisés au lieu de 575 litres constatés par les employés du silo.

18 mars 2010 : Absence de Laurent Guillou pour cause de brûlures (visage) et de démangeaisons. Vomissement de Stéphane Rouxel. Ce jour là une réunion du CHSCT était programmée et ce problème a été mis à l’ordre du jour. En fin de réunion, les membres du CHSCT se sont rendus au poste de chargement des céréales Eolys ainsi qu’au poste de réception Nutrea. Au poste de traitement / chargement Eolys, les personnes présentes ont pu remarquer que le Salariés de débit de la pompe était réglé sur 48% au lieu de 10% minium préconisés. Les personnes présentes remarquent que sur l’étiquetage du NUVAGRAIN, il est préconisé un délai de ré-entré de 48 à 72heures après la fin du traitement.

Mi-septembre 2010 les salariés sont convoqués pour trouver une solution. Ce jour là les responsables leur communiquent les résultats d’analyses effectuées sur les céréales. Selon un salarié, certaines atteignent 7 fois la dose maximum autorisée.

Depuis, certains salariés ont été licenciés et connaissent de lourds problèmes de santé, notamment une hypersensibilité aux substances chimiques. De même, des responsables de l’ONF ont constaté des mortalités anormales de certains animaux sauvages (oiseaux) autour de l’usine qui auraient pu consommer les grains de blé des silos. Enfin, des éleveurs, qui ne souhaitent pas, pour le moment, témoigner, aurait eu des animaux malades suite à l’ingestion des aliments fournis par l’entreprise.

Toutes ces raisons poussent aujourd’hui les salariés et les organisations impliquées à rendre publique cette situation.

Les pesticides mis en cause

NUVAN TOTAL

Délais d’utilisation : 30/06/2007 - Retrait Définitif : 28/06/2006 Toxicité du Dichlorvos

*“Suggestive evidence of carcinogenicity but not sufficient to assess human carcinogenic potentiel” : évidence suggestive de carcinogénicité mais jugée insuffisante pour conclure quant au potentiel cancérogène pour l’homme ; Evidence suggestive carcinogénicité au départ de données humaines et animales mais jugée insuffisante pour conclure quant au potentiel cancérigène pour l’homme. Des études supplémentaires sont nécessaires.

** Groupe 2B : l’agent (mélange) est cancérigène possible pour l’Homme. La condition d’exposition entraîne des expositions qui sont possiblement cancérigènes pour l’Homme.

*** Très toxique pour les organismes aquatiques. Salariés de l’agroalimentaire, victimes des NUVAGRAIN

Les personnes et organisations impliquées

Les salariés

L’entreprise Nutréa de Plouisy dans les Côtes d’Armor, filiale du Groupe Triskalia emploie actuellement 70 salariés. 18 salariés de l’entreprise ont été directement ou indirectement concernés par les 2 accidents du travail. Ils font aujourd’hui, l’objet d’un suivi médical par la médecine du travail de la Mutualité Sociale Agricole des Côtes d’Armor. (MSA) Ils ont tous passés des visites de contrôle.

Deux salariés, Messieurs Guillou et Rouxel les plus gravement intoxiqués ont déposé plainte contre X auprès de Monsieur le Procureur de la République de Guingamp. L’affaire classée une première fois le 29 octobre 2010 a été ré-ouverte par Monsieur Le Procureur de Guingamp, M. Dresen en date du jeudi 25 novembre 2010 après l’audience qu’il avait accordé aux salariés concernés et au Secrétaire de l’Union Régionale Solidaires de Bretagne.

Un autre salarié a fait une demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès du Tribunal des Affaires de la Sécurité Social de Saint Brieuc (TASS ). Recours en attente de jugement. En septembre 2010 une section syndicale Solidaires a été crée dans l’entreprise et Monsieur Rouxel Stéphane a été désigné comme Représentant de cette section (RSS).

Messieurs Guillou et Rouxel ont tous les deux été licenciés en juin et juillet 2011.

La Direction de Nutréa, après avoir accepté de discuter avec les salariés concernés et l’Union Régionale Solidaires a rompu unilatéralement les négociations en mai 2011.

Cette premier réunion, à laquelle fait référence l’une des premières séquences du film de la journaliste Marie Monique Robin « Notre Poison Quotidien », avait rassemblé une vingtaine d’agriculteurs. Des avocats et des médecins étaient présents sur place pour répondre aux questions de chacun.

A la suite de cette rencontre, il est apparu évident à toutes et tous qu’il ne fallait pas en rester là.

C’est pourquoi après une année de réflexion et du fait du décès en février 2011 de Yannick Chénet (Agriculteur) présent à cette première rencontre, nous avons décidé d’organiser une nouvelle rencontre les vendredi 18 et samedi 19 mars 2011 pour cette fois lancer officiellement une association de professionnels victimes des pesticides. http://www.phyto-victimes.fr

Cette association, alertée par Générations Futures par cette situation, apporte son expérience sur les recours possibles en matière de reconnaissance du lien entre activité professionnelle (avec exposition aux pesticides) et survenue de certaines pathologies. Les actions juridiques

Procédure pénale

Le parquet de St-Brieuc est saisi de deux plaintes déposées les 25 et 26 mai 2010 par Messieurs Guillou et Rouxel pour avoir été intoxiqués par des produits phytosanitaires sur leur lieu de travail. Il est demandé au Parquet d’engager des poursuites sur le fondement des différentes infractions qui ont été commises :

• Traitement en 2009 de céréales avec du NUVAN TOTAL, produit interdit depuis juin 2006 ;

• Traitement en 2010 de céréales avec un dosage plus élevé que la norme maximale autorisée ;

• Traitement en 2010 de céréales par une entreprise non agréée ;

• Atteinte à l’intégrité physique de Messieurs Guillou et Rouxel.

La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur

Messieurs Guillou et Rouxel ont été victimes d’accidents du travail - le 8 avril 2009 et le 15 mai 2010 - et souffrent de maladies en lien avec leur intoxication aux produits phytosanitaires, et plus précisément d’un syndrome d’intolérance aux solvants et aux odeurs chimiques. Ils engagent une action en reconnaissance de la faute inexcusable de leur employeur devant les juridictions des affaires de sécurité sociale. Cette action repose sur le non respect par la société NUTREA (NNA) de son obligation de sécurité de résultat envers ses salariés. Elle vise à obtenir la majoration maximale de la rente qui devrait être versée à Messieurs Guillou et Rouxel (en cours de fixation) et l’indemnisation des préjudices subis.

La contestation des licenciements

Messieurs Guillou et Rouxel ont été déclarés inaptes par la médecine du travail respectivement les 17 février et 18 janvier 2011. Ils ont été licenciés pour inaptitude respectivement les 10 juin et 12 juillet 2011. Ils engagent une procédure devant les juridictions prud’homales aux fins de voir reconnaître la faute de leur employeur à l’origine de leur licenciement.

Une question de santé publique

Cette exposition de travailleurs à des pesticides concerne de nombreux métiers.

Les agriculteurs bien sûr dont on sait qu’ils développent plus de certaines pathologies liées à l’exposition aux pesticides. En effet, certains pesticides sont suspectés d’être cancérigènes. Ainsi, depuis une vingtaine d’années des dizaines d’études épidémiologiques menées aux USA et ailleurs montrent que les utilisateurs de pesticides sont plus souvent atteints par certains cancers (estomac, prostate, vessie, cerveau 3, lèvres, lymphomes4., leucémies, sein …)

Ce que nous savons moins c’est que cette exposition concerne aussi d’autres métiers comme les salariés qui travaillent dans les usines de traitement du bois ou encore, comme le faisait remarquer d’autres organisations7, « des milliers de travailleurs (dockers, douaniers, déclarants en douane, magasiniers, chauffeurs routiers, logisticiens...) qui ouvrent chaque jour des conteneurs et y pénètrent pour un temps plus ou moins long afin d’y procéder par exemple à des opérations de contrôle ou de manutention » . Fin 2008, à l’occasion du 18e congrès de la European Respiratory Society basée à Berlin, des chercheurs allemands et néerlandais dévoilaient des résultats d’une étude qui montrait que 97% des conteneurs testés au débarquement dans les ports de Hambourg et de Rotterdam présentaient des traces de gaz toxiques et dans des concentrations supérieures aux normes de sécurité dans 30% des cas ! Des dockers8 concernés également. Selon Actu Hygiène Sécurité Environnement : « En mars 2011, un docker du port de Nantes tombe malade (cancer du rein) et prend conscience que de très nombreux collègues le sont aussi. Au port de Nantes, 140 dockers sont contactés, 87 ont contracté des maladies (dont plus de 80% sont des cancers), 35 sont décédés. A St Nazaire, sur 160 dockers 43 sont tombés malades - 17 en sont morts. Les autres ports français contactés présentent des tableaux similaires. Un docker d’aujourd’hui a une espérance de vie de 10 à 12 ans inférieure aux dockers des générations précédentes.[…] Avec quelques amis, ce docker monte en février 2010, l’association pour la protection de la santé au travail des métiers portuaires (APPSTMP) avec comme objectif de comprendre les causes et de mener ensuite des actions de prévention.[…]

La typologie des cancers ressemble beaucoup à celle des agriculteurs. […] En effet, l’emploi généralisé de fongicides et pesticides pour protéger les denrées alimentaires ou végétales exposent fortement les travailleurs du port. »

Conclusion

Les salariés accidentés et leur syndicat Solidaires considèrent que les agissements passés et l’attitude actuelle des dirigeants sont susceptibles de causer de lourds préjudices tant du point de vue social, sanitaire qu’environnemental. Ils considèrent également que ce manque de prise en compte des faits de la part des Dirigeants de ces entreprises agroalimentaires représente aujourd’hui un danger pour la santé publique. Les associations, Générations Futures et Phyto-Victimes, les soutiennent dans leur démarche.

Les entreprises impliquées

Triskalia

« Les trois coopératives à l’origine de Triskalia ont été des actrices majeures du miracle agricole breton qui a conduit la région à occuper une place prépondérante en France comme en Europe. Ses trois principaux métiers :

• Agrofourniture : Triskalia apporte à plus de 20 000 agriculteurs bretons adhérents, les produits et services nécessaires à une meilleure valorisation de leurs productions,

Alimentation : Entreprise agroalimentaire performante, Triskalia collecte, transforme et commercialise la production en lait, porcs, bovins, céréales, légumes, pommes de terre, volailles et oeufs des agriculteurs adhérents. La vocation principale du groupe est l’élaboration de produits de qualité destinés à la grande consommation ;

Distribution : Triskalia a développé des enseignes de distribution jardin et animalerie : Magasin Vert, Point Vert le Jardin et Gamm Vert .

Triskalia a la volonté d’une agriculture bretonne performante, soucieuse de son environnement et de la qualité de ses produits. Notre coopérative, ce sont plus de 750 hommes et femmes en contact quotidien avec ses adhérents. » >>> http://www.triskalia.fr

Eolys

Entreprise qui achète les matières premières et les stocke. Cette entreprise a été rachetée par Triskalia.

Nutréa

Usine d’aliment pour bétail >>>http://www.nutrea.fr/

Les organisations qui soutiennent les salariés

Solidaires

L’Union syndicale Solidaires, constituée à partir de dix syndicats autonomes, non-confédérés, regroupe aujourd’hui 45 fédérations ou syndicats nationaux. Elle est présente dans la quasi totalité des départements à travers des structures interprofessionnelles locales (détail et coordonnées des organisations nationales ou des Solidaires locaux). Les syndicats membres appartiennent à des secteurs professionnels très divers - relevant aussi bien du secteur public que du secteur privé.

Cette union interprofessionnelle, qui compte actuellement près de 100 000 adhérents, met en oeuvre un fonctionnement original basé sur la recherche constante de ce qui unit plutôt que de ce qui divise. Il s’agit de mieux s’organiser pour mieux agir ensemble et éviter les phénomènes d’institutionnalisation, de délégation de pouvoir, d’experts etc.

Elle a depuis trois ans mis particulièrement l’accent dans ses revendications et travaux sur les questions de santé et conditions de travail et vient à son congrès de juin 2011 d’adopter une résolution importante sur ces sujets.

Pour plus d’information voir : http://www.solidaires.org/

Ce syndicat soutient et conseille, par le biais de sa structure régionale - Union Régionale Solidaires de Bretagne – depuis le début les salariés concernés dans cette affaire.

Générations Futures

Générations Futures (ex-Mouvement pour les Droits et le Respect des Générations Futures - MDRGF) est une association de défense de l’environnement agréée par le ministère de l’écologie et reconnue d’intérêt générale, fondée en 1996 par G. Toutain, agronome, et F. Veillerette, enseignant et auteur notamment de l’ouvrage de référence « Pesticides, révélations sur un scandale français ». Cette association mène des actions (enquêtes, colloques, actions en justice, campagne de sensibilisation…) pour informer sur les risques de diverses pollutions ( notamment les substances chimiques en général et les pesticides en particulier) et promouvoir des alternatives en vue d’en réduire les impacts négatifs pour la santé et l’environnement.

Bien sûr GF ne fait pas que dénoncer l’impact des pollutions chimiques sur notre santé et notre environnement, cette association, en collaboration avec son réseau l’ACAP (Action Citoyenne pour les Alternatives aux Pesticides www.acap.net) promeut les alternatives notamment lors de la semaine pour les alternatives aux pesticides qui se tient du 20 au 30 mars chaque année en France mais aussi dans d’autres pays d’Europe ou encore en Afrique. Voir www.semaine-sans-pesticides.fr

Pour plus d’informations sur l’association voir www.generations-futures.fr

Cette association, contactée par le Syndicat Solidaires, apporte sa connaissance sur la question des pesticides (risques sanitaires et environnementaux).

ATTAC

Fondée en 1998, suite à la rédaction d’un éditorial du Monde diplomatique : « Désarmer les marchés » (décembre 1997), Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne) promeut et mène des actions de tous ordres en vue de la reconquête, par les citoyens, du pouvoir que la sphère financière exerce sur tous les aspects de la vie politique, économique, sociale et culturelle dans l’ensemble du monde. Attac se revendique comme un mouvement d’éducation populaire tourné vers l’action, considérant que le premier outil pour changer le monde est le savoir des citoyens. Attac produit analyses et expertises, organise des conférences, des réunions publiques, participe à des manifestations…

http://www.france.attac.org/qui-som...

Phyto-Victimes

L’association Phyto-Victimes regroupe des personnes (ou leurs proches), qui ont utilisés des pesticides, du fait de leur activités professionnelle et qui ont connu des problèmes de santé.

Début janvier 2010 des victimes des pesticides se sont réunies à Ruffec (Charente), village de Paul François, un agriculteur conventionnel qui intoxiqué par des pesticides lors de l’ouverture de son pulvérisateur. Cette réunion, qui s’est faite à l’initiative de Paul et de l’association Générations Futures (http://www.generations-futures.fr ) et d’un réseau européen HEAL, a été organisée dans le but d’échanger et de recueillir les témoignages de personnes (agriculteurs notamment) tombées malades du fait d’une exposition aux pesticides (voir : http://www.victimes-pesticides.fr )

Tag(s) : #environnement
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