Mais qui c’est les casseurs et casseuses ? Témoignage de la place Bellecour - Lyon, 19 octobre

 

 



12h : J’arrive au métro Hôtel de Ville, afin de rejoindre la grosse manif à Saxe depuis les pentes où j’habite. Je suis un chouilla en retard, mais vu la taille des manifs en ce moment… Je vais m’engager dans l’escalier de la bouche de métro quand mon regard tombe nez à nez avec le rideau de fer : métro fermé. Hein ?



Stupeur : la grève des TCL aurait été finalement plus efficace que prévue ? Je lève la tête, à la recherche de vélo’v, et tombe alors, successivement, sur : la vision de plusieurs camions de pompiers, un peu plus loin, et sur le départ. À côté d’eux, en me rapprochant pour trouver mon vélo’v, j’aperçois des bris de verre, ce qui me fait regarder alentours. Les bris de verre proviennent de pans de verre d’abribus, probablement brisés lors d’affronte­ments. d’ailleurs, à l’intersection des rues, juste là, je vois justement un tas de poubelles consumées, par terre. Ça sent le roussi. levant la tête, au milieu des piéton.ne.s qui vaquent à leurs occupations l’air de rien, j’aperçois mes premiers robocops, en petits groupes. Boucliers, armures, et … flashballs dégainés, sait-on jamais…



Je prends mon vélo’v et remonte la rue de la Ré en direction de Bellecour : tout le long, c’est le même paysage, d’état de siège, pour quoi ? Pour quelques jeunes mineur.e.s d’âge cou­pables d’avoir voulu manifester pour défendre leurs retraites ?



Bon sang, mais qui rend les manifestations dangereuses pour «les lycéen.ne.s» ? Les éventuel.le.s crétin.e.s qui casseraient tou.te.s seul.e.s des vitres d’abribus juste pour le fun ? Dans la rue, moi, là, je ne vois que des fantassins en armure avec leurs armes dégai­nées … y’a juste à les orienter pour tirer. Ça me donne pas trop envie de traîner.



D’ailleurs, ça doit bien être un peu le but : effrayer le pékin qui vient manifester, en lui insi­nuant «Regardez à cause de ces vilain.e.s CASSEURS.EUSES, ça a tout dégénéré»…



Arrivée niveau Place des Jacobins, je commence à voir un nuage de brume.



Je commence aussi à entendre des bruitages qui ne ressemblent pas uniquement à des slo­gans de manifs.



Alors je chope des gens qui viennent de Bellecour en ayant des tronches de manifestant.e.s (drapeaux ou autocollants divers avec eux.elles). Et je demande : «Ça se passe comment Place Bellecour ? Je cherche à rejoindre la manif.»



Réponse : «Très mal. Franchement, vous devriez éviter d’aller place Bellecour.»



Du coup, je bifurque vers la Guillotière, je rejoins là la manif.



En discutant un peu avec des personnes dans la manif, j’apprends que «ce matin, des CASSEURS.EUSES ont cassé des vitrines autour de Bellecour».



J’ai pas vu les vitrines. Juste quelques vitres d’abribus, des poubelles cramées, et … les gros pots de plantes qu’il y a sur une petite place entre Terreaux et Jacobins, pas mal chahutés, certains renversés et même une plante complètement dépotée sur l’asphalte de la rue.



Là, moi, comme j’ai été lycéenne avant d’être salariée, j’ai pensé : «Et merde, y’a même eu des poursuites et des esquives au milieu de ces putains de pots de plantes».



En conclusion de ce petit voyage à Sarkoland et son état de siège, je voudrais faire remar­quer :



— Que en 1968, il y avait carrément des barricades et des jets de pavés sur les CRS (voire de cocktails), ainsi que des voitures utilisées en plein centre-ville comme matériau à barrica­des. À l’époque, ça ne choquait pas, cette violence-là en réponse à la violence des CRS (d’ailleurs, à cette époque, c’étaient des «CRS-SS»).



Le pire qu’on ait retenu, comme vocabulaire, sur les auteurs des jets de pavés, c’était «la chienlit».



— En 1994, on a commencé à entendre parler de ces «casseurs.euses», lors du mouvement anti-SMIC jeunes.

Comme par hasard, leur prototype semblait être d’avoir un faciès de jeune issu de ces cités de périphérie, celles-là même qu’un gusse qui commande aujourd’hui à tous les flics de France dit vouloir «nettoyer au karcher». Nous, lycéen.ne.s du centre-ville, on y a un peu cru, mais en même temps, on a aussi été un certain nombre à refuser cette division. 


Puis on s’est rendu compte qu’il suffisait, au cours de ce mouvement, de dix lycéen.ne.s autour de la statue à Bellecour, en début d’après-midi, pour que 100 flics chargent à grands coups de lacrymo et que bizarrement, en fin d’après midi, il y ait plein de verre cassé autour de la place. 

Des jeunes blessés aussi. 

Et puis la frousse pour chacun.e de se trouver pris.e là dedans demain, d’être arrêté.e juste pour avoir tenté de défendre le SMIC, juste pour être coupable d’avoir défendu son avenir … ou bien l’exaltation de chacun.e de tenir tête aux canons à eau, en venant pour la première fois au sitting quotidien qui se déroulait place Bellecour, au milieu de la fumée, des robocops et du reste. 



Il y avait tout ça, mais à l’époque, les CASSEURS(EUSES) ne se permettaient pas de tirer à tirs tendus.


Donc à l’époque, les blessures (et il y en a eu, certain.e.s les portent à vie), c’était aux genoux, aux jambes, etc. Parce que la consigne des baqueux à l’époque, c’était de nous faire tomber en nous frappant les jambes, pour nous cueillir ensuite. Par exemple, une ancienne copine a un genou foireux depuis un tour place Bellecour à la mauvaise heure. Ça, elle va le garder toute sa vie. 


Mais c’est pas à la tête. 

Pas à l’œil. 

Ça aussi, les lycéen.ne.s qui ont morflé, physiquement, pour avoir osé sortir en cortège devant leur bahut, ils.elles vont le garder à vie, l’œil en moins. 


C’est dégueulasse, de perdre un œil parce que les flics tirent sur des manifestant.e.s comme si c’étaient des lapins. 


Bon sang, mais c’est qui, ici, les CASSEURS.EUSES ? 


Alors que même parmi les manifestant.e.s et grévistes, on parle des «casseurs.euses de vitri­nes» comme casseurs.euses, je voudrais souligner comment on se scandalise encore à deux vitesses. 



Je vais pas faire l’éloge du bris d’abribus (j’ai pas vu de vitrines brisées), mais entre une vitre brisée quelle qu’elle soit, et un œil démoli, ben je suis désolée, y’a pas photo.



Pour moi, les CASSEURS.EUSES, c’est ces gusses surarmés que j’ai croisés ce matin dans la rue, et qui m’ont noué l’estomac parce que moi, les armes dégainées, ça me fiche les jetons, je sais pas pourquoi, je me sens en danger dans ces cas-là…


Rebellyon, 19 octobre 2010.

Tag(s) : #actualités
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