Bretagne : la promotion d’un projet de centrale au gaz repose sur la désinformation
Lettre ouverte adressée et distribuée aux participant-e-s de la conférence bretonne de l’énergie, du mardi 6 juillet à Rennes, par un
collectif d’associations. [1] Cette conférence est co-présidée par le préfet de région et le président du Conseil régional de Bretagne.
Les mêmes contre-vérités ressassées systématiquement depuis trois ans, d’abord par les
opérateurs RTE, EDF et GDF-Suez puis par des industriels et certains élus, finissent par polluer les esprits, d’autant que les moyens financiers ne manquent pas pour assurer cette propagande. A
Ploufragan, la vérité l’a emporté contre le bluff mais on nous remet le couvert en Finistère avec un projet plus puissant.
Extraits des articles parus ces derniers jours dans Ouest-France et Le Télégramme qui citent
le président du Conseil régional ou l’association « Investir dans le Finistère » regroupant les 3 CCI et des entreprises du Finistère.
« Un sondage effectué cet hiver a révélé une petite surprise : les bretons placent la
création d’une unité de production électrique pour sécuriser l’approvisionnement en tête de leurs préoccupations régionales »
Quoi de plus prévisible après le matraquage en ce sens entamé depuis 3 ans, notamment par
l’opération Ecowatt dont le tout 1er but pour RTE est de cultiver à grande échelle la peur de la panne, le 2ème de redorer son image en se faisant passer pour soucieux d’économie. Les économies
obtenues sont quant à elles dérisoires au regard du coût de la campagne de communication afférente et au regard des importantes économies possibles par des incitations financières à changer de
comportement. En misant sur le seul sens civique des consommateurs, Ecowatt nous masque qu’il existe des moyens autrement plus efficaces de lisser les pointes, que ces moyens ont été
progressivement abandonnés et qu’au surplus, de nouvelles technologies disponibles aujourd’hui permettraient non seulement de les réhabiliter mais d’en améliorer considérablement les performances
(cf & 4 plus bas).
Et puis
un sondage ouvert n’est pas une consultation emportant décision et ne peut refléter l’état réel de l’opinion.
« l’entreprise ne peut pas se permettre de délestage ou même de micro-coupures » « nos
actionnaires n’aimeraient pas cela »
La confusion est systématiquement entretenue entre les coupures ou micro-coupures qui interviennent de plus en plus fréquemment sur le réseau en raison de défaillances
techniques et celles qui interviendraient si l’approvisionnement électrique en période de pointe était insuffisant. La Commission de régulation de l’énergie constate que le temps de coupure a
progressé de moitié en dix ans et que « la principale cause de dégradation de la qualité réside dans l’insuffisance des investissements d’ERDF ». Le remède ne réside donc pas dans la construction
d’une centrale mais dans l’entretien du réseau qui a été délibérément négligé en raison de calculs de rentabilité à très courte vue de l’opérateur privatisé.
« Une production de seulement 8 % sur le
territoire breton » « Consommant plus d’énergie qu’il n’en produit, le Finistère… »
Cette situation n’a vraiment rien de nouveau, depuis la lutte de Plogoff déjà, les départements ou régions excédentaires côtoient les
territoires « en déficit » (telle la région Ille-de-France qui n’est pas pour autant à « désenclaver »). La politique nationale a consisté en effet à construire d’immenses unités très
centralisées avec transport lointain en THT.
Alors, pourquoi cette récente préoccupation à cet endroit ? Parce qu’avec l’ouverture en 2005-2007 du marché de l’électricité, différents opérateurs se bousculent au portillon
pour réclamer leur part du gâteau : GDF-Suez, Poweo, Direct Energie et bien d’autres veulent produire et vendre à qui-mieux mieux et agitent pour ce faire… un constat vieux de cinquante
ans.
« Une consommation qui
croît deux fois plus vite qu’ailleurs en France » « Un blackout généralisé peut se produire l’hiver prochain »
La Bretagne a la particularité d’avoir le plus long réseau de desserte électrique de moyenne
et basse tension de France car celui-ci a été développé pour desservir les élevages agricoles. Cette desserte a permis le raccordement à moindre coût des particuliers. EDF a ainsi expressément
découragé l’usage du gaz et poussé à l’extrême à l’installation du chauffage électrique, au bilan énergétique calamiteux, induisant la surconsommation électrique hivernale que l’on
sait.
De surcroît, comme
l’observe l’Union Française de l’Electricité (février 2009), la France connaît une « forte augmentation de la pointe, deux fois plus vite que la base sur les dix dernières années ». « La France a
perdu 4.000 MW d’effacement depuis 10 ans, soit l’équivalent de 10 cycles combinés. Il faut déplorer la réduction, depuis 2000, de tous les signaux économiques incitant à moins consommer en
période de pointe. Ceci s’observe aussi bien au niveau des tarifs de l’électricité que des politiques commerciales des fournisseurs d’électricité ».
Autrement dit, les opérateurs ont encouragé la
consommation électrique et laissé filer les pointes.
Nous rejoignons l’Union Française de l’Electricité pour constater que la limitation des appels de puissance en pointe est essentielle
pour :
réduire les émissions de CO2 liées au recours, dans ces périodes, aux centrales thermiques fonctionnant au
charbon, au fuel ou au gaz ;
sécuriser le réseau ;
réduire les importations, « la France étant importatrice nette en période d’extrême pointe » ;
éviter la construction de centrales de pointe « dont les conditions de rémunération ne sont aujourd’hui pas garanties » et optimiser la rentabilité des autres moyens de
production utilisés pendant une durée supérieure « dans l’intérêt des producteurs ».
Les motifs environnementaux et les motifs économiques se rejoignent pour plaider en faveur d’un lissage de ces pointes par « une
transformation profonde dans la tarification de l’électricité », pour « refléter de façon plus fine les coûts du système électrique », des « systèmes de comptage plus fins (type compteur
électronique) et surtout, des systèmes de pilotage des appels de puissance performants ».
En un mot, les moyens existent (EJP, smart grids, Voltalis, Vir’volt, contrat de performance énergétique…), ne manque que la volonté
de les développer.
En mai 2010,
le médiateur de l’énergie signale que « 3,4 millions de ménages en situation de précarité énergétique » peinent à payer leur facture. On sait aussi que les augmentations de tarifs à venir vont
avoir pour effet de comprimer la demande.
Conclusion : que le point de vue soit environnemental, économique ou social, l’heure n’est décidément plus à tabler sur une croissance de la consommation électrique mais à se
donner les moyens de la contenir : sobriété et efficacité énergétique.
« Les unités de production de Cordemais (44) et Dirinon (29) arrivent en bout de course »
A Cordemais ont été investis plus de 200 millions
d’euros pour la remise en service d’une tranche au fioul fonctionnant en période de pointe et la rénovation de deux tranches au charbon pour un fonctionnement en semi-base.
Les centrales au fuel de Dirinon et Brennilis
fonctionnant à l’extrême pointe (une centaine d’heures par an), vont bénéficier des investissements prévus dans le cadre du plan de relance gouvernemental qui va permettre la mise en place de
dispositifs de téléconduite. Ces centrales, dont la construction n’est pas rentable mais qui ont le mérite d’exister, ne sont donc pas remises en cause, bien au contraire.
« La construction d’une centrale à cycle combiné
au gaz (CCCG) semblerait pouvoir diminuer la dépendance électrique de 40 à 43 % pour Finistère… » « Deux tranches de 400 MW qui assureraient la sécurité d’approvisionnement de la pointe bretonne,
Morbihan et Côtes-d’Armor compris »
Que la Bretagne et les territoires qui la composent doivent aller vers plus d’autonomie. Bien entendu ! Le plan alter breton de 1979 plaidait déjà dans ce sens. Mais il y a une
tromperie majeure à parler de sécurité et d’indépendance énergétique s’agissant de nous doter d’une unité de production dépendant d’une énergie fossile : importée et en voie d’épuisement. D’une
part, chacun sait que le gaz est importé de Russie, d’Algérie et d’ailleurs et soumis à de graves incertitudes géopolitiques. D’autre part, comment prétendre sérieusement assurer notre « sécurité
» d’approvisionnement à partir d’une énergie en voie d’épuisement. Jean-Marc Jancovici, qui a mis au point la méthode du « bilan carbone » et qui a publié en 2009 un ouvrage intitulé « C’est
maintenant ! Trois ans pour sauver le monde », situe le début du déclin de la production de gaz en 2020, soit avant la fin des centrales, avant la fin de la durée de vie des gazoducs, et même des
chaudières que certains installent actuellement dans leurs foyers. Faut-il ajouter enfin que le coût du gaz ne va cesser d’augmenter ?
Les dirigeants de « Investir en Finistère » ignorent manifestement les conclusions de
l’étude menée par le bureau Horizons en septembre 2009 (postérieure à celle de Zelya Energie), intitulée « Etat des lieux de la production électrique thermique centralisée : évaluation de
l’opportunité de cycles combinés au gaz dans le système énergétique français », consultable par le lien.
S’appuyant sur le bilan prévisionnel de RTE de juillet 2009 et la PPI - Programmation
pluriannuelle des investissements - ministérielle de même date, elle démontre que (extrait de la lettre de présentation adressée aux élus du B15 en octobre 2009) :
La création de nouvelles centrales au gaz fonctionnant en semi-base, en sus des treize centrales en fonctionnement, en construction
ou autorisées, ne correspond à aucun besoin prévisible à ce stade. A noter que la production électrique à partir du gaz naturel est la seule à dépasser significativement les prévisionnels de la
PPI.
Concernant en particulier les besoins de consommation de pointe, aucune puissance supplémentaire n’est
requise à l’horizon de 5 ans. Par ailleurs, l’étude souligne que la capacité d’une centrale à gaz à satisfaire un besoin en pointe n’est pas démontrée, sauf à être installée à proximité d’un
stockage souterrain de gaz ou d’un terminal GNL (gaz naturel liquéfié), inexistants en Finistère nord.
Les
opérateurs publics du transport du gaz ont alerté sur l’insuffisance du réseau gazier à subvenir aux besoins d’un parc important de centrales. Les risques de congestion du réseau, ou de surcoûts
à la charge de l’ensemble des usagers, sont donc à prévoir. Ces questions ont été mises à l’étude par la Commission de Régulation de l’Energie.
Le développement du parc de centrales au-delà des prévisions de la PPI créerait naturellement un contexte de surproduction.
La pression économique forte sur les producteurs
pourrait avoir plusieurs conséquences :
une croissance de la consommation : « les producteurs d’électricité
pourraient être incités à mettre en échec ou retarder sensiblement les offres d’effacement de la consommation de pointe pour des raisons de rentabilité interne » ;
une augmentation des exportations d’électricité : la PPI prévoit déjà leur doublement d’ici 2020 ;
une mise en concurrence directe avec les autres moyens de production. L’étude montre que la production au charbon ne pourrait être
réduite en dessous du seuil programmé par la PPI. En conséquence, il faut prévoir que les producteurs limitent leurs investissements dans la production éolienne pour rentabiliser le parc
électrique à gaz car cette production est « disponible à la demande et fortement valorisable sur le marché spot de l’électricité. La faiblesse des investissements dans le productible éolien, en
comparaison du productible CCG, peut déjà être mise en évidence ». (En 2010, en mettant des freins au développement de l’éolien, le Parlement est venu confirmer la justesse de cette
analyse).
Le non respect des objectifs de réduction des émissions de CO2. Avec la mise en service de l’ensemble du
parc autorisé ou actuellement en enquête publique, les émissions totales de la production électrique pourraient augmenter d’ici 2015.
« Les productions alternatives (hydrolien, solaire) ne produiront pas d’effet réellement
quantifiables avant l’horizon 2020 »
Selon les déclarations de la présidente d’ERDF en juin dernier au sujet de l’électricité solaire : 45.000 panneaux installés fin 2009, 75.000 supplémentaires raccordés en 2010,
500.000 producteurs raccordés fin 2013 ; « avant 2015, on sera sur les objectifs qui ont été annoncés pour 2020 ». D’où selon elle des "risques de black-out complet par surtension" si les
panneaux solaires produisent "plus que ce qu’on a besoin". Soulignons que fin 2009 l’Allemagne savait gérer 9.785 MW d’électricité solaire, contre seulement 272 MW en France.
Quant à l’éolien offshore pour lequel la Bretagne
nord est la mieux placée, il est inscrit dans les objectifs régionaux à hauteur de 1.000 MW… mais jamais pris en compte dans les réflexions sur l’approvisionnement. Pendant ce temps, les
entreprises « qui ont déjà intégré ce développement dans leur stratégie » « s’inquiètent du décalage dans la réalisation des projets » (2 juillet 2010).
Rappelons enfin que l’UE réclame 20% d’énergie
renouvelable pour 2020.
Impératifs climatiques et limites des ressources planétaires obligent, la politique archaïque du « toujours plus » conduit dans le mur. Le sens de l’histoire commande de mettre
en place de puissants programmes de maîtrise de la demande d’électricité, notamment par une politique d’abandon du chauffage électrique, de façon à passer du discours et des textes («
développement durable », objectif des 3 x 20 en 2020) aux actes.
Ni gaz russe, ni énergie solaire importée d’Afrique. La sécurisation de l’approvisionnement électrique en Bretagne et le développement
des entreprises et des emplois passe par le recours au potentiel propice des diverses ressources renouvelables de nos territoires, dans un réseau rapprochant le plus possible le consommateur du
producteur. Il est en effet urgent de réorganiser le réseau actuel, centralisé et ramifié, pour aller vers un réseau sectorisé et maillé permettant la collecte de toutes les productions
décentralisées et leur répartition.
Les collectivités locales et syndicats d’électricité ont un rôle majeur à assumer pour aller vers une territorialisation de la responsabilité énergétique.
Cette logique-là impose de fermer la porte au
recours accru aux énergies fossiles importées aussi bien qu’à un renforcement du réseau THT.
Notes
[1] Collectif :
CANE – Côtes d’Armor Nature Environnement – 22000 SAINT-BRIEUC
Site : http://www.cotesdarmorenv.org
CURC 22 – Collectif Urgence Réchauffement Climatique – 22440 PLOUFRAGAN
Site : http://centrale-ploufragan.org
Sortir du nucléaire Cornouaille - 29000 QUIMPER
Site : http://www.sortirdunucleairecornoua...
Collectif Ille-et-Vilaine sous tension – 35300 FOUGERES
Site : http://www.stop-tht.org
Cohérence pour un développement durable et solidaire - 56100 LORIENT
Site : http://www.reseau-coherence.org
Source : AE2D – Agir pour un Environnement et un Développement Durables
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