enric_duran.jpg


Enric Duran a volé 492'000 euros au profit d’alternatives sociales. Ce jeune catalan explique pourquoi lors d’une tournée en France. Il était à Marseille le 13 janvier dernier. «J’ai “volé” 492'000 euros à ceux qui nous volent pour les dénoncer.» 


«Enric n’a pas l’habitude de s’étendre sur ses pratiques. En Espagne, tout le monde sait ce qu’il a fait.» Nicolas Arraitz du journal CQFD introduisait ainsi cette soirée avec le Robin des banques catalan qui a détourné 492'000 euros dans 39 banques pour construire des alternatives sociales.

Ceux qui venaient pour approcher Jacques Mesrine s’étaient trompés de salle ce soir là. Enric Duran était venu dire sa foi dans les alternatives, même bancaires. Enric, un peu vouté, ressemble à un castor plus qu’à un grand fauve. Barbichette et dents de lapin, souriant, il tripote son portable.

L’affaire remonte à septembre 2008 ; lorsque qu’un canard tiré à 200'000 exemplaires sort l’affaire de cette escroquerie : Crisi ou Comment un individu épaulé par un collectif a patiemment mis en œuvre une suite de crédits auprès de banques et d’organismes de prêts pour attaquer le système capitaliste. Non seulement cette «attaque de banque pacifique» cherchait à dénoncer le système mais aussi à financier ceux qui s’y opposent. Enric a été arrêté par une pléthore de policiers après avoir revendiqué son acte. Éric Woerth pourrait bien s’inspirer de la Brigade financière qui l’a coffré à l’université, lui qui n’a trouvé que 3000 évasions fiscales vers la Suisse.

Enric raconte comment, en 2005 après des années d’implication dans les mouvements sociaux, sa réflexion l’a poussé vers l’idée de la décroissance : «Le système capitaliste va contre le mur dans sa croissance infinie et sans limites.»

«J’ai d’abord pensé à une action pouvant accélérer les mouvements sociaux en Catalogne.» Puis il s’est rendu à une évidence : «L’argent est dans les banques.» Il faut donc qu’il en sorte. Salarié alors d’une Scop dont la tache est l’aide aux mouvements sociaux, il s’est rendu compte qu’il pouvait ouvrir des comptes tout à fait légaux dans plusieurs banques. «Avec des faux virements, j’ai fait une première demande de crédit et ça a marché.» Ensuite Enric s’emploie à virer de l’argent d’une banque à une autre, et surtout fournit des fiches de paie, fausses pour leur montant mais semblables dans chacune des banques. «Je n’ai jamais fait un crédit de plus de 6000 euros car à ce moment là j’étais fiché à la Banque d’Espagne.» Chaque mois Enric se rend à la banque d’Espagne pour vérifier son endettement. Tout roule. La surprise était au rendez vous : «Dans mon cas, les banques acceptaient tous mes crédits.» L’opération dure un an et demi en faisant circuler 6000 euros d’un compte à l’autre. Le casse a commencé. Toutefois cette escroquerie, somme toute modeste au regard des millions engloutis par les traders et financiers de haut étage, n’a de l’importance que par son dessein.

Monsieur Duran contactait aussi les organismes de crédit au téléphone. Avec eux la recette était simple : «Contracter un petit crédit, le rembourser puis en prendre un plus important.» Des voitures ont elles aussi achetées. À force, 492'000 euros sont retirées de cette escroquerie alternative. Un peu plus de 100'000 euros passeront aux frais.

À la différence d’un Marius Jacob qui redistribuait aux pauvres ou à la cause, ou du faussaire anarchiste Lucio Urtubia qui déclarait pourtant [La Dépêche du Midi, 13/08/2000, Jean-Manuel Escarnot] : «Si j'avais vingt ans aujourd’hui, je me spécialiserais dans l’informatique comme ce jeune qui fabriquait les cartes de crédit. Imagine-toi, une arme comme ça dans les mains des anarchistes face aux banques», Enric Duran milite pour une décroissance qui veut se passer du capitalisme. Une voix demande de la salle s’il a préféré voler ou donner. Enric répond : «Dare», donner et la voix véhémente lui rétorque : «Moi c’est voler !» Pour notre catalan, qui se considère révolutionnaire, le réformisme c’est participer aux décisions de l’État. S’en retirer le plus possible est une tâche libératrice.

Notre Robin des banques critique et reproche le manque de coordination dans les alternatives. Ses projets sont de l’ordre de la réduction de la consommation autant que de la production, la relocalisation des échanges par la base et une rénovation de l’esprit communautaire. Les pistes existantes, «les Amaps, les sels, les Scops, les squats, un faire ensemble pour convertir tout cela en projet social». Et s’il vient de l’économie solidaire, il souhaite que celle-ci sorte de la transformation de l’économie pour transformer l’économie.

Une partie de l’argent détourné servit à financer un tour à vélo de 75 jours entre lieux alternatifs, de quoi désespérer les adeptes des Ford 1932 de Bonnie et Clyde. Rappelons que ceux-ci étaient aussi considérés comme des Robin des Bois car les petits épargnants de l’époque avaient été essorés par les banques.

La salle du Point Bascule qui accueillait la rencontre en a presque été retournée. On était venu voir un bandit qui avait réalisé le coup du siècle et on avait devant nous, un décroissant altermondialiste qui proposait, un comble, d’ouvrir des banques alternatives, type la Fiare au Pays Basque qui doit s’associer avec la NEF. Si Enric ne veut pas casser les banques mais en créer d’autres, il verrait d’un bon œil des échanges sans monnaie. Il les voit en tout cas comme un outil pour construire un autre monde.

Déclaré interdit bancaire, Enric est sorti de deux mois de prison et demeure en attente de son jugement. La réaction politique en Espagne a été nulle et les médias, mise à part Diagonal, ont soigneusement évité d’en parler. «Normalement on ne va en prison en préventive pour ce qu’il a commis», explique Raul Guillén, le journaliste qui l’accompagne. Enric risque de un an à trois ans ; les circonstances atténuantes sont en sa faveur ; il a revendiqué son acte, et n’a pas agi pour son propre compte.

Le heureux hasard de la crise qui n’a pas montré les banques sous leur meilleur jour pourrait aider Enric Duran qui veut créer un réseau de volontaires insolvables. Reste que pour lui l’argent n’est qu’un moyen. En attendant le grand soir, il suggère aux citoyens de retirer leur argent des banques et éventuellement de le placer dans les banques alternatives. Ne pas être salarié ni salarier quelqu’un est un autre axe de sa politique située entre l’anarchisme et écologie radicale. Le slogan «Braque ta banque» fera-t-il flores ? Si Obama envisage de taxer les banques, Enric est déjà son meilleur élève.

Christophe Goby, 9 février 2010
Fourmes de discours.
Nous pouvons ! vivre sans capitalisme (Crisi/OCL, avril 2009)
Vers une Internationale des mauvais payeurs ? (CQFD no 66, avril 2009)

Robin Banks contre la Phynance (CQFD no 60, octobre 2008)

Source : Jura libertaire



Tag(s) : #actualités
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :