Fukushima : le rapport qui change tout
16 juillet 2012
   

« Le tremblement de terre et le tsunami du 11 mars 2011 ont été des désastres naturels d’une ampleur qui a choqué le monde entier. Bien que déclenché par ces événements cataclysmiques, l’accident qui s’est ensuivi à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi ne peut pas être regardé comme un désastre naturel. Ce fut un désastre profondément causé par l’homme – qui aurait pu et aurait dû être prévu et prévenu. Et ses effets auraient pu être atténués par une réponse humaine plus efficace. »

 

 


Ces lignes sont tirées du rapport de la commission d’enquête parlementaire japonaise sur l’accident de Fukushima (Naiic, ou National diet of Japan Fukushima nuclear accident independant investigation), dont une synthèse (en anglais) a été publiée récemment [1]. Ce rapport, peu traité par la presse, brosse pourtant un tableau dévastateur de l’action du gouvernement de Tokyo, des autorités nucléaires japonaises et de Tepco, l’exploitant de la centrale de Fukushima.

On y apprend que les populations ont été évacuées de manière « chaotique », au point que soixante patients hospitalisés sont morts « de complications liées à l’évacuation ». Le rapport révèle que la gravité de l’accident, souvent imputée à la fatalité du tsunami, est due à «  une multitude d’erreurs et de négligences délibérées », qui expliquent l’impréparation de Tepco face aux événements du 11 mars 2011. Le rapport de la Naiic montre aussi que le gouvernement a diffusé des informations tronquées et inadéquates, répétant que les radiations n’entraînaient pas « d’effet immédiat pour la santé », et donnant au public « une fausse impression de sécurité ».

La commission parlementaire indépendante s’est appuyée sur une masse considérable d’informations : 900 heures d’auditions ont permis d’entendre 1 167 personnes – dirigeants de Tepco, responsables gouvernementaux, membres de l’autorité de sûreté nucléaire, etc. La commission s’est rendue dans douze municipalités qui se trouvent aujourd’hui dans la zone d’exclusion. Elle a recueilli 10 633 réponses à un questionnaire adressé aux habitants évacués. La commission a aussi relevé plus de mille commentaires de travailleurs qui se trouvaient à la centrale de Fukushima Daiichi, le 11 mars 2011.

Les révélations du rapport de la Naiic ne sont pas toutes inédites, mais c’est la première fois qu’autant d’éléments divergents de la version officielle se trouvent rassemblés dans un même document. Les enseignements qui se dégagent de cette somme d’informations peuvent être récapitulés en six points :

1. Des négligences sont à l’origine de l’impréparation de Tepco.

La centrale de Fukushima Daiichi n’était capable de résister ni au séisme ni au tsunami du 11 mars 2011, selon la commission parlementaire. La zone entourant la centrale était considérée comme ayant une activité sismique minimale, et le niveau de résistance au séisme de l’installation était « remarquablement faible ». En 2006, à la suite d’une réévaluation des normes de sûreté anti-sismique, la Nisa, l’autorité nucléaire japonaise, a demandé à Tepco et aux autres exploitants de réexaminer leurs centrales en fonction des nouvelles normes.

Tepco a présenté à la Nisa, en 2008 et 2009, des rapports exposant les mesures de sécurité anti-sismique prévues. La Nisa a accepté ces rapports, alors qu’ils ne concernaient qu’une partie des équipements nécessaires à la sûreté. De plus, alors que les mesures prévues devaient être mises en application au plus tard en juin 2009, « Tepco a décidé en interne et unilatéralement de repousser la deadline à janvier 2016 ».

Au moment du séisme de 2011, Tepco n’avait pas apporté un certain nombre d’améliorations aux réacteurs 1, 2 et 3, bien qu’elles aient été jugées nécessaires par la Nisa. Cette dernière a failli à sa mission en ne rappelant pas l’exploitant à l’ordre. Tepco et la Nisa ont également confirmé que des éléments importants de la tuyauterie du réacteur n°5 n’avaient pas été mis aux normes en 2011. Pour la commission, il est clair que « les renforcements anti-sismiques appropriés n’étaient pas en place au moment du séisme du 11 mars ».

Tepco et l’autorité régulatrice ont fait preuve d’une imprévoyance encore plus importante à propos du risque de tsunami, qui avait été évoqué à plusieurs reprises par des scientifiques. Au moins dès 2006, Tepco et la Nisa disposaient d’informations selon lesquelles un tsunami plus fort que prévu pourrait provoquer la perte totale des alimentations électriques, avec pour conséquence un risque de fusion du cœur d’un ou plusieurs réacteurs.

L’accident a été déclenché par le séisme, pas seulement par le tsunami
Selon la commission parlementaire, la Nisa n’a jamais divulgué ses informations sur le sujet, ce qui a empêché qu’une tierce partie puisse connaître la situation. De plus, elle a accepté, en toute connaissance de cause, un mode de calcul qui sous-estimait la hauteur probable des tsunamis susceptibles de se produire. Tepco, de son côté, a considéré qu’un tsunami était de toute façon improbable et a repoussé constamment la mise en place de contre-mesures. Ce que la Nisa a accepté sans donner à l’exploitant aucune instruction.

Conséquence logique de ce qui précède, la centrale de Fukushima Daiichi n’était pas protégée contre un séisme et un tsunami de l’ampleur de ceux du 11 mars 2011, et le personnel n’était pas préparé à y faire face, puisque ces événements ne devaient pas se produire.

2. L’accident nucléaire a sans doute été déclenché par le séisme, et pas seulement par le tsunami.

Tepco, ainsi que les autorités nucléaires japonaises, mais aussi internationales et françaises, ont affirmé de manière répétée que la centrale de Fukushima avait bien résisté au séisme, et que c’était le tsunami qui, en détruisant les générateurs de secours, avait déclenché l’accident. Cette affirmation vise à atténuer la responsabilité de l’industrie nucléaire, puisque l’ampleur du tsunami est réputée imprévisible. Mais elle est contredite par plusieurs éléments du rapport.

Primo, comme on l’a vu ci-dessus, le risque d’un tsunami d’une hauteur supérieure à celle que Tepco avait prise en compte a été évoqué dans le passé. Il n’est donc pas exact d’affirmer que l’événement était imprévisible.

Secundo, selon la commission parlementaire, «  Tepco a trop rapidement conclu que le tsunami était la cause de l’accident nucléaire en niant que le tremblement de terre ait provoqué des dégâts ». La Naiic estime probable qu’avant l’arrivée du tsunami, le tremblement de terre ait endommagé des équipements nécessaires à la sûreté. De plus, il est possible que sur le réacteur n°1, le séisme ait causé une petite fuite du circuit primaire. Cette hypothèse avait déjà été avancée par la JNES (Japan nuclear energy safety organisation, organisme d’expertise nucléaire).

Même s’il s’agissait d’une fuite mineure, n’ayant pas été détectée, elle a pu en une dizaine d’heures entraîner la perte de dizaines de tonnes de liquide réfrigérant, conduisant à un réchauffement et un début de fusion du cœur du réacteur. Cette hypothèse expliquerait aussi que le cœur du réacteur n°1 ait été endommagé bien avant celui des autres réacteurs, ce qui est difficilement compréhensible si toute la séquence est déclenchée uniquement par le tsunami.

Par ailleurs, la centrale de Fukushima Daiichi disposait d’une source d’alimentation électrique externe, fournie par le réseau d’une autre société, Tohoku Electric, et acheminée par une ligne de 66 kV via le poste de transformation de Shin-Fukushima. Or, le tremblement de terre a coupé la liaison entre ce poste et la centrale, qui a ainsi perdu sa source de courant externe. Et cela, avant que le tsunami ne noie les diesels de secours et les pompes d’eau de mer, privant cinq réacteurs sur six de toute alimentation électrique (un seul, le n°5, a conservé une alimentation en courant continu, mais il n’était pas en production au moment de l’accident, contrairement aux réacteurs 1, 2 et 3).

3. La gestion de la crise sur le site nucléaire a été confuse.

Comme on l’a vu, le personnel de la centrale n’était pas préparé à une telle crise, dont la probabilité était considérée comme nulle. De plus, il est facile d’imaginer la difficulté d’intervenir sur un site privé d’éclairage et de communications, inondé et encombré de gravats et de débris divers.

À toute ces difficultés s’en est ajoutée une autre : la mauvaise communication entre l’équipe de Tepco et le cabinet du premier ministre. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les prérogatives de l’un et de l’autre n’étaient pas clairement définies. Le cabinet du premier ministre n’a pas bien compris son propre rôle, d’après le rapport de la Naiic. Il est intervenu dans des prises de décisions qui auraient été plus efficacement gérées par Tepco, notamment à propos de l’ouverture de vannes d’aération et de l’injection d’eau de mer. Le premier ministre Naoto Kan a pris l’initiative de se rendre personnellement sur le site, ce qui a interrompu la chaîne de commande, a ajouté à la confusion et fait perdre un temps précieux.

Qui plus est, en s’occupant d’aspects techniques pour lesquels l’exploitant était mieux placé, le cabinet du premier ministre a incité Tepco à se déresponsabiliser de la situation à la centrale.

Auditionné par la Naiic, le chef de cabinet de Naoto Kan, Yukio Edano (aujourd’hui ministre de l’économie), a déclaré que Tepco avait le projet d’abandonner la centrale après avoir évacué tous ses employés. C’est ce qui aurait justifié l’interventionnisme du cabinet du premier ministre. Selon le rapport de la Naiic, Tepco n’a jamais voulu abandonner le site, et le cabinet de Naoto Kan s’est trop occupé de ce qui se passait à la centrale, au lieu de se focaliser sur sa principale mission : la protection des populations.

4. L’évacuation a été « chaotique ».

Dès le début de la catastrophe, le gouvernement disposait d’informations précises sur la répartition des retombées radioactives fournies par le système « Speedi » (System for Prediction of Environmental Emergency Dose Information). Cela aurait dû permettre d’organiser un plan d’évacuation rationnel. Le rapport de la Naiic montre clairement que c’est le contraire qui s’est produit.

Le signe le plus évident du chaos dans lequel se sont déroulées les évacuations est la mort de soixante patients au cours de ces mouvements. Même si ces personnes ne sont pas mortes de l’irradiation, elles sont les premiers victimes des suites directes de l’accident nucléaire. La Commission parlementaire a recueilli de nombreux témoignages d’habitants évacués. Ils sont éloquents, comme l’illustrent quelques exemples.

« J’ai quitté ma maison avec juste le strict nécessaire. J’ai appris où je devais aller par la radio, alors que j’étais déjà en route. Je suis arrivé au premier lieu d’évacuation indiqué, après 6 heures de voiture pour un trajet qui prend normalement une heure. En chemin, mon fils qui vit loin de Fukushima m’a appelé et m’a dit que je ne devais pas m’attendre à revenir bientôt. C’est seulement alors que j’ai commencé à comprendre ce qui se passait. » (Témoignage d’un habitant de Futaba, ville de 7 000 habitants avant l’accident, située dans la zone d’exclusion de 20 kilomètres autour de la centrale.)

« Si nous avions entendu ne fût-ce qu’un mot à propos de la centrale nucléaire au moment où l’évacuation a été ordonnée, nous aurions pu réagir raisonnablement, prendre nos objets de valeur et fermer correctement la maison avant de partir. Nous sommes partis en courant, sans rien d’autre que les vêtements que nous portions. » (Témoignage d’un habitant de Okuma, ville de 11 500 habitants avant l’accident, située dans la zone d’exclusion).

« J’ai été évacué et envoyé sans être informé dans une zone présentant le niveau de radiation le plus élevé. À cause de cela, j’aurai peur pour ma santé jusqu’à la fin de ma vie… Quel cas font-ils de la vie des gens ? Notre maison n’est plus habitable… Le nucléaire devrait être stoppé. Il causera un deuxième Fukushima et il n’y aura plus un seul endroit où vivre au Japon. » (Témoignage d’un habitant de Namie, ville de 22.000 habitants avant l’accident, située dans la zone d’exclusion.)

« On nous a dit de rester à la maison, et on ne nous a jamais dit d’évacuer. A la TV, tout ce qu’ils ont dit c’est qu’“il n’y avait pas d’effets immédiats sur la santé”, ce qui nous a encore plus effrayés. Rien n’a changé depuis l’accident. Alors qu’il y a très peu de progrès dans la décontamination, il est très étrange que l’ordre d’évacuation ait été déjà levé. » (Témoignage d’un habitant de Minamisoma, à 25 kilomètres de la centrale de Fukushima.)

Au total, environ 150 000 personnes ont été évacuées, mais seuls les habitants de la zone d’exclusion de 20 kilomètres de rayon autour de la centrale ont reçu un ordre d’évacuation rapide. Et souvent aberrant : à peu près 50 % des habitants de Namie ont été évacués temporairement dans des endroits à haut niveau de radioactivité ; et près de 70 % des résidents de Futaba, Okuma, Tomioka, Naraha et Namie ont dû évacuer quatre fois ou plus.

De plus, les données Speedi montrent que de nombreux secteurs au-delà des 20 kilomètres affichaient un niveau de radioactivité élevé et auraient dû être évacués rapidement. Les habitants de la zone comprise entre 20 et 30 kilomètres de distance à la centrale ont été particulièrement mal lotis. Ils ont reçu un ordre de mise à l’abri le 15 mars, alors que l’accident nucléaire a commencé le 12. Et on les a appelés à évacuer volontairement dix jours après, le 25 mars. Autant dire qu’ils ont été exposés à d’importantes doses de radiation, pendant la période où les rejets étaient les plus élevés.

Devant la lenteur des mesures gouvernementales, de nombreux habitants n’ont pas attendu et sont partis de leur propre initiative. Ce qui a amplifié le chaos général.

Parmi les évacués, un grand nombre ont été mal informés et n’ont pas su précisément ce qui se passait. Beaucoup d’habitants n’ont pas reçu d’informations par les canaux officiels : municipalités, radio d’urgence et police. Ainsi, seuls 10 % des habitants de Minamisoma, Iitate et Kawamata ont reçu les informations officielles. Les autres ont été informés par des moyens de fortune.

5. L’information et le suivi sanitaire des populations sont insuffisants.

« La Commission conclut que le gouvernement et les régulateurs ne sont pas pleinement attachés à la protection de la santé publique et de la sûreté ; et qu’ils n’ont pas agi pour protéger la santé des habitants et restaurer leur bien-être. »

Cette citation est assez claire. Les populations japonaises sont mal informées des risques des radiations, et leur suivi sanitaire n’est certainement pas à la hauteur de la troisième économie mondiale. Dans un rapport intitulé « Fukushima 1 an après », l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) faisait état de quatre études épidémiologiques lancées après Fukushima.

Or, le mot « épidémiologie » ne figure même pas dans le résumé du rapport de la Naiic. La préfecture de Fukushima a entrepris de suivre les habitants qui dépendent de son administration. Ce suivi comporte des examens de la thyroïde chez les enfants et les jeunes de moins de 18 ans. On sait en effet que le cancer de la thyroïde, particulièrement chez les enfants, est l’une des premières pathologies susceptibles d’apparaître à la suite d’un relâchement de radioactivité (c’est ce qui a été observé à Tchernobyl).

Au stade actuel, 38 114 personnes de moins de 18 ans ont eu un examen de la thyroïde. Pour 13 460 d’entre eux (35,5 %), on a détecté des nodules ou des kystes et, dans 0,5 % des cas, les nodules ou kystes ont une taille importante. Ces données sont publiques, mais aucune information n’a été divulguée sur la nature, bénigne ou maligne, des nodules et des kystes.

Mediapart a interrogé le docteur Hisako Sakiyama, membre de la commission parlementaire indépendante. Elle nous a indiqué que les 184 enfants qui ont des nodules de plus de 5,1 millimètres ou des kystes de plus de 20,1 mm, devraient subir un « deuxième examen », mais ignore combien exactement ont eu ce deuxième examen. À la question de savoir si certains des nodules diagnostiqués étaient cancéreux, elle nous a répondu : « Je ne sais pas, mais les médecins qui s’en occupent le savent probablement. Ils traiteront donc les nodules lorsqu’ils jugeront que c’est nécessaire. »

Cette réponse confirme que l’université médicale de Fukushima, qui supervise ces examens, n’a pas publié d’information complète sur le sujet. De plus, on n’a pas non plus recherché de nodules chez des enfants non exposés aux radiations, de sorte qu’il n’y a pas de base statistique pour savoir si le nombre de cas de nodules relevé à Fukushima est ou non anormal.

Ce suivi peut donc difficilement être considéré comme une étude épidémiologique complète et rigoureuse. On peut ajouter que la préfecture de Fukushima a choisi comme conseiller spécial pour les radiations le docteur Shunichi Yamashita. Ce dernier s’est rendu célèbre en affirmant que les radiations n’entraînent pas de risque de cancer en-dessous d’une dose de 100 mSv (millisieverts).

Cette affirmation revient à dire qu’il n’y a pas d’effet des faibles doses, et contredit toutes les recherches des vingt dernières années. À titre d’exemple, Elisabeth Cardis, du Circ (Centre international de recherche sur le cancer, Lyon), a publié une étude de référence sur les travailleurs du nucléaire de quinze pays (). Cette étude met en évidence un risque de cancers et de leucémies pour une cohorte de plus de 400 000 sujets exposés en moyenne à une dose de 19,4 mSv, et dont 90 % ont reçu moins de 50 mSv [2].

Autrement dit, l’affirmation du docteur Yamashita revient à effacer d’un trait vingt années de recherche épidémiologique. Cela situe son niveau de crédibilité. C’est pourtant ce médecin qui supervise le suivi effectué par l’université médicale de Fukushima…

Ce n’est pas tout. Les estimations des doses reçues par les populations reposent uniquement sur des questionnaires qui ont été envoyés aux évacués, et auxquels une petite minorité à répondu. « Ce n’est pas suffisant pour estimer la véritable dose reçue par les habitants, dit le docteur Hisako Sakiyama. Mais on ne peut pas faire autrement, faute d’avoir effectué des mesures immédiatement après l’accident. Il y avait une occasion de faire ces mesures, mais elle a été perdue. »

En clair, les données dont on dispose sont insuffisantes pour estimer les véritables doses externes reçues par les populations. De plus, les contaminations internes ne sont plus contrôlées (40 000 personnes ont été examinées dans les dix premiers mois, puis ces examens ont été abandonnés). Aucune étude spécifique n’a été lancée pour rechercher une éventuelle hausse des cas de leucémie.

C’est sur la base de ces informations extrêmement incomplètes que deux études ont été récemment publiées, l’une par l’Unscear (United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation, organisme proche de l’industrie nucléaire) et l’autre par l’OMS (Organisation mondiale de la santé). Les deux études affirment que les effets sanitaires de Fukushima seront faibles et probablement non détectables. Il est certain que l’on ne trouve que ce que l’on cherche, et que l’on trouve rarement ce que l’on s’efforce de ne pas chercher…

6. Les travailleurs du nucléaire de Fukushima ont payé un lourd tribut aux radiations.

Ce dernier point lui aussi a été nié par les autorités nucléaires, mais les faits sont têtus. Selon les données de Tepco, reprises dans le rapport Naiic, 167 travailleurs ont reçu une dose cumulée supérieure à 100 mSv, ce qui les expose, selon les travaux d’Elisabeth Cardis, à un sur-risque de 10 % de décéder d’un cancer et de 19 % de mourir d’une leucémie (ces valeurs correspondent à 100 mSv et augmentent rapidement en fonction de la dose).

Mais le nombre de travailleurs concernés par ce risque est très probablement bien supérieur à 167. En effet, les données fournies par Tepco sur les travailleurs sont incomplètes pour deux raisons : d’une part, un certain nombre d’entre eux n’avaient pas de dosimètre ou ont dû le partager avec d’autres travailleurs ; d’autre part, le système de calcul des doses cumulées s’est trouvé hors service.

Selon le docteur Sakiyama, 28 % des employés de Tepco, 25 % des sous-traitant et 35 % des « sous-sous-traitants » n’ont pas reçu d’information sur leur dose cumulée. Ces chiffres portent sur les travailleurs qui ont répondu au questionnaire envoyé par la Naiic, soit d’environ 2 400 travailleurs sur un total de 5 500.

Parmi ces 2400, 710 ne connaissaient pas leur dose cumulée, mais le chiffre réel est plus important puisqu’il y a eu plus de 50% de non-réponses. A cela il faut ajouter un nombre plus petit de travailleurs qui n’avaient pas de dosimètre du tout. En résumé, il y a probablement des centaines d’agents de Tepco et de ses sous-traitants qui ont reçu des doses importantes, mais inconnues à ce jour.

7. Fukushima a été un drame typiquement japonais, ou peut-être pas…

Dans son message d’introduction, le président de la commission parlementaire indépendante, le docteur Kiyoshi Kurokawa, a des mots très durs pour son propre pays : « Il doit être reconnu – très douloureusement – que ce désastre a été “Made in Japan”. Ses causes fondamentales doivent être recherchées dans les conventions enracinées dans la culture japonaise : notre obéissance réfléchie ; notre réticence à questionner l’autorité ; notre propension à “coller au programme prévu” ; notre esprit de groupe ; et notre insularité ; Même si d’autres Japonais avaient été à la place de ceux qui sont respondables de l’accident, le résultat aurait pu être le même. »

Ce passage qui semble marqué par une tendance à l’autoflagellation a aussi le grand défaut de mettre tous les individus au même plan. En somme, Fukushima n’est la faute de personne, c’est celle de la civilisation japonaise. C’est là la seule affirmation du rapport Naiic qui semble fortement contestable. Ceux qui ont suivi l’actualité au moment de la catastrophe de Tchernobyl se souviennent qu’à l’époque, l’accident de la centrale ukrainienne avait été jugé typique du système soviétique. À tel point que l’on a longtemps donné à croire que seul le régime communiste allié à la culture russe pouvait expliquer la catastrophe nucléaire.

Aujourd’hui, les Japonais s’auto-accusent et revendiquent, si l’on peut dire, l’originalité de Fukushima. On pourrait les croire s’il n’y avait pas eu Tchernobyl. La succession des deux catastrophes, et la ressemblance de plus en plus évidente entre elles, sans parler du précédent américain de Three Mile Island, suggère plutôt le contraire : ce qui caractérise un accident nucléaire, ce n’est pas la culture du pays où il se produit, c’est le nucléaire.

MICHEL DE PRACONTAL


Notes

[1] Voir : http://naiic.go.jp/wp-content/uploa...

[2] voir aussi les explications de l’Irsn sur les faibles doses :http://www.irsn.fr/FR/base_de_conna...

* Paru sur Mediapart, 16 JUILLET 2012 : http://www.mediapart.fr/article/off...

Tag(s) : #environnement
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