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Pour ceux qui n'ont jamais lu "C'est beau une ville la nuit" (1988), le nom de Richard Bohringer est synonyme d'acteur (120 films), à ranger dans la catégorie "acteur attachant de grand talent". Si vous êtes vraiment au fait de son actualité, vous savez aussi que l'homme est aussi réalisateur et scénariste, et encore auteur de théâtre, et même chanteur. Si si, car le gars est vraiment doué réussissant tout ce qu'il touche.

C'est assez rare !

 

Mais on va être pour une fois un peu subjectif, pour nous, Richard Bohringer est un écrivain, et surtout pas un acteur qui écrit, comme...Bon, on ne citera pas de nom, c'est inutile. Ceci dit ce n'est pas un scoop, mais à chaque roman, cela se confirme. Il y a quelques mois, nous vous avions dit tout le bien que l'on pensait de "Traîne pas trop sous la pluie".

Un an plus tard pour le grand plaisir de ses lecteurs, il récidive et porte un nouveau coup gagnant. Comme le titre le laisse entendre, il y a des contes dans ce roman, c'est à dire une bonne dose d'utopie, une utopie qu'ici nous défendons chaudement. Et il y a aussi une cité, perdue cette cité. Et comme un peu partout, si vous avez voyagé, on y trouve des gens, des gens qui se rêvent, qui rêvent à d'autres vies, à d'autres lieux, à d'autres parcours, enfin qui rêvent qu'ils sont autrement que dans leurs tristes réalités.

Par exemple, Solange, Solange qui n'a pas de petit ami, mais juste une vie banale, sans sexe, et qui deviendrait alors Betty. Betty cela sonne autrement, non ? Et si cela sonne alors cela doit bien être autrement.

Et puis il y a Thierry, qui lui pourrait bien se nommer John. Il aurait un blouson et aurait été marié deux fois. Et deux fois abandonné. Et John il boit pour arriver à savoir si le bonheur est bien une invention totale. Ou pas. Parfois il faut être un peu saoul pour savoir. Ou même beaucoup saoul, pour encore mieux savoir.

Et puis encore il y a Paulo et un bar qui lui porte son vrai nom :

"Au bout du monde".

Tout un programme.

Le bout du monde, c'est les nouveaux territoires où l'on peut tenter de vivre autre chose autrement, loin de l'argent, l'argent qui a tout corrompu, loin des multiples malveillances de ceux qui ne vivent que pour et par l'argent, loin des cultes artificiels des vanités en tous genres.

Et chaque nuit, le rituel recommence, avec la chaleur, et les bières, et l'herbe des Indiens, chacun essaie d'oublier sa vie, de rejouer sa vie, enfin une autre vie, peut-être. Et ceux qui avaient touché le fond, ici, trouvaient une certaine fraternité, une fraternité apporté par l'ivresse et par la nuit. Ce qui ne pouvait arriver le jour en pleine sobriété.

Les phrases sont brèves, et tombent justes, et nous touchent au bon endroit. Elles demeurent en nous une fois le livre refermé.

Avec maladresse et parfois douleur, les personnages superbes de ce roman se frottent les uns aux autres, se demandant qui ils sont. Car Thierry a presque disparu de John, mais alors qui est donc le vrai John ? Et Betty quand elle aime les hommes, où est donc passée Solange dépourvue de petit ami ?

Un jeu de masques entre des personnages si vivants entre les lignes que l'on peut ressentir leur dégoût de ce vieux monde si corrompu qui impose à ceux qui veulent vraiment vivre de prendre la route.

Par moment, on peut songer aux magnifiques "Clochards célestes" de Jack Kerouac, justement rendu célèbre par un roman légendaire nommé "Sur la route". Il y a des vagabonds célestes dans ce roman qui, une fois encore, nous fait partager la sensibilité extrême de Bohringer. Il nous décrit le monde, un monde dévasté par le pouvoir absolu de l'argent dominant.

Plus d'une fois, des phrases font mouche et touchent l'os.

 

"John n'en voulait pas de cette vieillesse. Il l'aimait chez les autres. Il n'en voulait pas pour lui. il ne voulait pas croire que la vie n'était qu'un passage."

 

Contrairement à de nombreux auteurs, Bohringer nous fait bénéficier d'une forme courte car il possède l'art précieux de raconter beaucoup et de nous faire rêver et ressentir en peu de mots choisis. Son roman en est d'autant plus efficace et apte au partage avec ses nombreux lecteurs.

 

Et pour ceux qui n'ont vraiment jamais lu "C'est beau une ville la nuit", il n'est pas trop tard, le roman est toujours disponible en poche chez Folio.

 

Enfin si cet été, une partie de vos vacances sont consacrées à la lecture, évitez donc les gros pavés de l'été, certes pratiques pour caller la tête sur le sable, mais souvent assez creux, et lisez donc les deux derniers romans de Richard Bohringer.

 

Dan29000

 

Les nouveaux contes de la cité perdue

Richard Bohringer

Editions Flammarion

2011 / 176 p / 15 euros

 

 

bohringer-precedent.jpgLire aussi notre article sur son splendide roman précédent "Traîne pas trop sous la pluie", ICI

Et on peut découvrir aussi le site de Flammarion, LA

 

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EXTRAIT /

Les nouveaux contes de la cité perdue

 

Dans les nouveaux territoires, il n'y avait pas d'injuste différence. Alors que les anciens territoires avaient choisi l'ambition. L'argent ! La corruption, une indifférence à l'art, à l'humain modeste. Le parti en place avait récompensé ses serviteurs, ses courtisans, ses laquais. Aucune opposition gracieuse, forte et spirituelle, n'apparaissait. La jeunesse s'enfonçait dans un désespoir qui la rendait imperméable à toute espérance. (p.10)

 

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Extrait d'interview datant de novembre 2010 par Géraldine (merci à elle)/

 

Pour lire la suite, il faut découvrir son site (Les coups de cœur de Géraldine) tout à fait passionnant, ICI

 

1/ Vous écrivez dans votre livre " Faut que je grimpe cette putain de montagne et que je devienne l'homme que je veux être". A quoi ressemble -t-il votre Richard Bohringer idéal ?

RB : Ahah.... Il ressemble à quoi... A quoi voudrait on ressembler ? Bah... Euh.. A mieux, à mieux. Mais ça n'a rien à voir avec l'orgueil, justement, c'est le contraire de l'orgueil.

G : Et comment fait on pour être mieux ?

RB : Ah ben je pourrais vous reverser la question, j'en sais rien moi.

G : Je n'ai pas la solution non plus, je pensais que vous l'aviez !

RB : Non non, je n'ai pas la réponse à ce genre de question. Disons qu'il y a certainement des gens qui ont la grâce naturelle d'être au dessus de la ligne de flottaison. Oui, je pense qu'il faut tendre à avoir la tête au dessus de l'eau, oui, quand même.

G : Et comment sait on si l'on est devenu l'homme qu'on voulait devenir ?

RB : C'est conséquent, et puis c'est injuste parce qu'il y a des choses sur lesquelles la nature humaine individuelle est comme elle est alors... Il faut tenter de pas trop plonger, de garder la tête droite. Enfin, c'est compliqué. Question compliquée et donc réponse un peu à la mord moi le noeud par ce que c'est très compliqué.

 

 

2/ Vous écrivez : " Fièvre, je veux que tu m'emmènes là où mon rêve sera compris".  Quel est donc ce fameux rêve ?

RB : Ah ben ça aussi c'est une question difficile apparentée à la question d'avant. C'est à dire que l'on n'est jamais aussi bien qu'on le voudrait et on n'est jamais aussi moche qu'on le dirait quoi. Donc euh... Trouver ce rêve d'humain, oui c'est dans l'endroit de la compréhension.

 

 

3/ Vous avez écrit "J'ai vécu mille vies". Laquelle fut la plus forte ? Et quelle est celle dont vous vous seriez bien passé ?

RB : Celle où j'ai fait du mal aux autres.

G : Et la plus forte, la plus belle ?

RB : Celle où j'ai fait du bien aux autres.

 

 

4/ Vous dites que vous trouvez les mots "généreux". Mais sont ils toujours suffisants ? En vous relisant, vous arrive-t-il de vous dire "non, ces mots ne sont pas encore assez forts ?"

RB : Oh oui, des fois, c'est la question fondamentale. Oui, c'est tout le temps, bien sûr, évidemment.

G : Et comment fait on quand le mot n'est pas assez fort ?

RB : Ben, on le garde quand même, on cherche jusqu'au bout et puis si c'est celui là qui reste, et bien il restera.

 

 

5/ Il y a 20 ans, dans "c'est beau une ville la nuit" vous écriviez "Vie je te veux, je t'ai toujours voulu, je n'ai jamais eu le mode d'emploi". Depuis, vous l'avez trouvé ? Il est écrit en Français limpide ou en Suédois sous-titré en Coréen ?

RB : Ahah ! Il est multiracial, muti- éthnique, multi linguiste ! Mais pas trouvé encore !

G : Et vous le cherchez toujours j'imagine ?

RB : Oui oui, on dirait bien.

G : Et est-ce que la valise est plus légère qu'avant ?

RB : Euh..... Non, elle est lourde, elle est lourde. Ouais ouais.

 

 

6/ En lisant votre livre, j'ai eu la sensation de lire les mots d'un grand photographe. L'êtes-vous ? Un livre de photos "le monde de et par Bohringer" est il envisageable ?

RB : J'y ai déjà pensé.

G : Et le projet est pour quand ?

RB : Je ne sais pas, mais j'y ai déjà pensé, parce que j'ai fait beaucoup de photo à l'Instamatic et des appareils jetables. Ils ne peuvent pas traiter de tous les sujets ces appareils. Mais il y en a des pas mal. Et de temps en temps, l'Instamaticfait de forts belles surprises. Et j'avais envie, effectivement à un moment, de classer toutes ces photos et d'en faire un album de photos jetables quoi.

 

 

7/ Pour vous, c'est l'Afrique. Est-ce que cela aurait pu être l'Asie ?

RB : Oui

G : Qu'est-ce que cela aurait changé dans votre vie ?

RB : Ah, ça, je n'en sais rien !

G : Ces deux continents ont une mentalité différente

RB : A oui, totalement.J'ai pas voyagé tant que ça en Asie.

G : Et c'est vous qui avez choisi l'Afrique ou c'est elle qui vous a choisi ?

RB : Euh. J'crois que ça c'est fait comme ça quoi. C'est mo. C'est moi.

G : Et ça continue ?

RB : Oh oui ! Mais l'Asie, je connais très peu l'Asie. Je connais un peu Pondichéry, un peu Maddras, un peu l'Océan Indien. Donc on est aux portes de l'Asie, on est face à l'Asie. Mais bon voilà, j'ai eu un grand choc attention. C'est bouleversant.

G : En Asie, on trouve la philosophie bouddhiste. Est-ce que quand on cherche à être mieux, ça ne peut pas être intéressant toute cette philosophie là ?

RB : Par rapport à ça, je suis toujours très précautionneux. Je pense que certaines choses appartiennent au peuple dont elles sont issues. Vraiment. On essaie de la faire sur la terre où l'on est né. Enfin, c'est une impression.Je n'affirme pas. C'est pour ça aussi que l'Afrique restera quelque chose... avec le même sentiment. Mais c'est pas Africa c'est tout quoi. Même si tu as de l'amour ! Tout ça, c'est pas Africa. Mais ce n'est pas désobligeant. C'est comme ça, c'est que les terres sont si fortes, si puissantes qu'il faut être enfanté par ces terres pour complètement les habiter.

 

 

8/ Vous êtes un grand voyageur. Vous arrive-t-il d'être encore ce touriste "qui empêche de voir"  ?

RB : Non, je ne pense pas ça.

G : Une fois que l'on est voyageur, on ne devient plus jamais touriste ?

RB : Si ! Si ! On ne va pas avoir la vanité perpétuelle. Ca veut dire que qui met les mots qu'il veut à celui qui s'arrange, celui qui récompense son orgueil ou sa vanité. Mais en fin de compte, on visite. Alors on visite avec plus ou moins d'acuité, plus ou moins de respect, plus ou moins de profondeur. Mais on visite quoi. On aura toujours au fond de sa poche le billet de retour si la vie est trop difficile.

 

 

9/ Vous dites que vous ne savez pas écrire des livres à la 3ème personne du singulier. Si vous aviez su, quel est l'auteur que vous auriez aimé être ?

RB : Jack London.

G : Et avec des titres en particulier ?

RB : Oh, presque tous : Martin Eden, Carnet du trimard, L'appel de la forêt, Le vagabond des étoiles...

 

 

10/ Quel genre de lecteur êtes vous ?

RB : De hasard.

G : Vous les choisissez comment vos livres ?

RB : Oh, à l'instinct.

 

 

11/ Vous dites "Cher lecteur, ce livre est dans la liste des contes cabossés. On sort d'une période où il y a eu beaucoup de liste ( prix littéraires)... Aimeriez vous être sur la liste d'un grand prix littéraire ou est-ce que vous vous en fichez ?

RB : Ben, c'est pas le fait de ne pas être sur les listes qui m'emmerde quand je suis de mauvaise humeur. Non, c'est pas ça. C'est le fait que je trouve qu'il y a beaucoup plus de lecteurs ou des gens comme vous qui reconnaissent cette écriture que de gens dont c'est le métier quoi . Voilà.

G : Et vous suivez la rentrée littéraire à la télé, dans la presse... ?

RB : Je suis content que Houellebecq leur ait fait un gros pied de nez, ça me fait assez plaisir oui.

G : Et si ça avait été Virginie, ça aurait été bien aussi ?

RB : Oui, je pense aussi. Bien sûr, bien sûr. Ca aurait été un gros pied de nez aussi, voire un plus grand encore !

 

 

12/ Une mauvaise critique de votre livre, ça vous blesse ou, le coeur léger, vous vous dites qu'on ne peut pas plaire à tout le monde ?

RB : Ca dépend des jours. Y'a des jours où je me dis "ouais, je ne peux pas plaire à tout le monde" et il y a des jours où ça me fait de la peine.

 

 

 

 

Tag(s) : #lectures
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