Notre-Dame-des-Landes: la bonne aubaine du groupe Vinci
Le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire doit décider, mardi matin 11 décembre, s'il autorise ou non la destruction des cabanes construites par les opposants à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes sur la vaste zone du projet, dans le bocage nantais. Mais l'aérogare de la discorde ne constitue pas qu'un problème d'ordre public. C’est aussi, ou surtout, une bien bonne affaire économique. Même si elle ne saute pas aux yeux des non-initiés au business aéroportuaire.
Géant mondial de la concession d’infrastructures publiques, gestionnaire heureux de parkings, bénéficiaire de lucratives rentes sur des autoroutes : mais pourquoi donc la multinationale Vinci s’est-elle embarquée dans la galère de Notre-Dame-des-Landes ? Plutôt discrète habituellement, elle fait désormais la une des médias en ennemi décrié du plus gros mouvement écologiste français depuis des lustres.
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Voir notre dossier complet sur l’aéroport de
Notre-Dame-des-Landes
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Tout ça pour un projet mineur par rapport à son activité : Notre-Dame-des-Landes doit peser 450 millions d’investissements entre 2011 et 2017, soit 75 millions d’euros par an environ, pour un groupe qui a réalisé un chiffre d’affaires de 37 milliards d’euros en 2011. « Ce n’est pas, au sens économique, quelque chose de significatif pour un groupe comme Vinci », expliquait Nicolas Notebaert, le président de Vinci Airports, l’année dernière. C’est l’équivalent du budget « de vingt ou trente kilomètres d’autoroute, ou d’un centre commercial », compare un spécialiste en concession de la direction générale de l’aviation civile, pour qui « l’ampleur du projet n’est pas énorme ».
Pourtant, Vinci était très demandeur, confie à Mediapart l’un des coordinateurs de l’appel d’offres de l’aéroport entre 2008 et 2009, côté administration
centrale : « C’était important pour Notebaert, en tant que patron de filiale, il l’a dit pendant l’appel d’offres ». D’emblée, l’enjeu est symbolique pour le jeune
patron, ancien du cabinet du ministre communiste des transports Gayssot, sous Lionel Jospin entre 2000 et 2002. Au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, naît l’idée d’une privatisation
complète d’Aéroports de Paris (ADP), exploitant d’Orly, de Roissy et du Bourget. Très rentable (2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2011), la société attire les convoitises. Vinci se
met sur les rangs préventivement en prenant une petite part à son capital (3,3 %).
« Jusque-là, Vinci gérait des petits aéroports de seconde zone : Grenoble, Chambéry… Prendre Nantes lui permet d’asseoir sa filiale Vinci Airports », poursuit la même source au sein de l'administration. Surtout, c’est la première concession aéroportuaire à tomber dans l’escarcelle du groupe – à l’exception de ses trois aéroports cambodgiens. Alors que tous les autres aérogares que Vinci exploite en France (Grenoble, Chambéry, Clermont-Ferrand, Quimper, Rennes, Dinard, pays d’Ancenis) obéissent aux règles de la délégation de service public (DSP). La différence est essentielle. Dans le cadre d’une DSP, la puissance publique délègue la seule exploitation de ses infrastructures. C’est l’État ou les collectivités locales qui investissent et maîtrisent la conduite des opérations. Le délégataire est rémunéré par forfait.
En revanche, un contrat de concession transfère au concessionnaire la charge du financement, de la construction, de l’entretien et de l’exploitation de
l’infrastructure. Il est maître chez lui, et non plus simple exécutant. D'ordinaire, ce type d'investissement est assez tranquille. « Vous n’êtes pas sûr de gagner beaucoup, mais vous
êtes sûr que vous n’allez pas perdre », explique un ancien cadre de Vinci concessions joint par Mediapart.
« Rien ne justifie ces subventions »
Surtout que Vinci a très bien su négocier son contrat avec l’État. D’abord, il réussit à empocher une subvention publique globale de 246 millions euros – dont 115,5 millions à la charge des collectivités locales. Soit plus de la moitié de l’investissement total du projet (450 millions d’euros). Pourtant, en théorie, dans le cadre d’une concession, les frais sont à la charge de la société signataire du contrat. « Normalement, le concessionnaire ne doit pas demander de subventions, rien ne le justifie », analyse un ancien cadre de Vinci concessions, « il n’en a pas besoin puisqu’il se rémunère sur l’exploitation de l’aérogare, la location du foncier, des parkings… ».
C’est ce que proclame depuis des mois le collectif des élus qui doutent de la pertinence de l’aéroport (CéDpa). « Quand les géants de l’eau venaient dans nos communes pour obtenir des concessions il y a quelques années, ce sont eux qui amenaient l’argent ! Là, c’est l’inverse », décrit Françoise Verchère, élue du parti de gauche au conseil général de Loire-Atlantique. En juin 2008, avant l’ouverture de l’appel d’offres, le conseil général a voté le principe de sa « participation au financement de l’opération dans le cas où, après appel d’offres, celle-ci s’avérerait indispensable ». Sans plafond, ni fourchette, ni condition à cette promesse (voir ci-dessous).
Quelques jours plus tard, la communauté urbaine de Nantes décide elle aussi « du principe d’une participation communautaire au financement de l’opération ». Elle conditionne cependant sa subvention à la mise en place d’un système de remboursement en cas de meilleurs résultats qu’escomptés de l'exploitation de l’équipement. En réunion de l’exécutif du conseil, Françoise Verchère s’élève contre le principe de ces subventions. « Le président du département m’a répondu : “si on ne met pas d’argent, ils ne viendront pas”. » Pour les répondants à l’appel d’offres, « il était nécessaire de savoir quelle serait la part de financement entre public et privé », justifie un membre de l’exécutif régional.
La contribution des collectivités locales, réunies depuis en syndicat mixte, se répartit entre 75 millions d’euros pour la construction de l’aéroport, et environ 40 millions pour la construction de la route nécessaire à la desserte du futur aérogare (voir ci-dessous les détails de la convention de financement entre l'ÉEtat et les collectivités).
Mais au bout du compte, la facture devrait être plus salée. Quelques millions d’euros de plus, au titre de l’indexation de la subvention sur l’évolution de l’indice des travaux publics. En clair, la prise en charge de l’inflation. « C’est une clause un peu inhabituelle, reconnaît un coordinateur de l’appel d’offres à la DGAC, mais on ne peut pas faire assumer à Vinci des risques sur lesquels le groupe n’a aucun levier. » Il rappelle le contexte historique de la conclusion de l’appel d’offres, en 2009, en pleine crise financière. « À un moment, la question de la possibilité d’un bouclage de l’appel d’offres s’est posée. »
Dernier petit cadeau aux candidats à la concession : au départ, l’appel d’offres demandait une offre ferme des banques dès la signature du contrat, en décembre 2010. Finalement, le délai de bouclage financier des banques a été reculé à 2014. En fait, Bouygues s’est retiré de la course avant la fin du processus, et Vinci s’est imposé devant SNC Lavallin, « car c’était de loin le meilleur rapport qualité-prix », assure un membre de la commission d’appel d’offres.
« On gonfle toujours les chiffres »
Face à ces avantages accordés à Vinci, les collectivités mettent en avant ce qu'elles ont gagné dans la négociation avec le groupe : une clause de retour à meilleure fortune, qui doit faire bénéficier les contributeurs publics des éventuels bons résultats d’exploitation du futur aéroport. « Les collectivités sont les premières bénéficiaires de cette clause qui fut âprement négociée et qui est unique en France », se réjouit un membre de l’exécutif des Pays de la Loire, qui révèle au passage que l’État n’y était pas très favorable. Contacté par Mediapart, Dominique Bussereau, ancien secrétaire d’État aux transports, affirme ne garder aucun souvenir de ces discussions financières.
À y regarder de plus près, le contrat n’est pas si favorable à la puissance publique. Car en réalité, villes, départements et régions contributrices ne
peuvent espérer toucher qu’un pourcentage de la différence entre l’excédent brut d’exploitation (EBE) constaté et celui prévu par le modèle financier initial. Pas plus de 10 % les quatre
premières années suivant la mise en service de l’infrastructure, puis 40 %, puis 50 % à partir de la onzième année, puis 60 % de la seizième année jusqu’à la fin des 55 ans de
concession. Dans le modèle financier attaché au contrat de concession, l’EBE progresse à grands pas d’une année sur l’autre : de 25 millions d’euros en 2018, on passe à 50 millions en
2028, 100 millions en 2041, 228 en 2065 (pour les trois aéroports de la concession cumulés, Notre-Dame-des-Landes, Nantes-Atlantique et Saint-Nazaire-Montoir)…
Comme si une pluie d’or s’apprêtait à tomber sur l’aéroport nantais... La réalité de l’exploitation future du site a peu de chances de dépasser ces objectifs chiffrés et donc de garantir aux collectivités une participation aux résultats. « On gonfle toujours les chiffres, sinon on ne construit pas d’infrastructures », confie un ancien cadre de Vinci concessions, pas impliqué dans le dispositif nantais mais routinier de ces jeux d’écritures sur d’autres projets.
Ces négociations financières furent opaques, déplore Françoise Verchère : « Les élus n’ont jamais eu accès aux discussions. » Même les exécutifs locaux, pourtant co-financeurs, « n’ont pas eu accès à toutes les analyses financières des candidats à l’appel d’offres tellement les discussions étaient tendues », se souvient un négociateur. « C’est au beau milieu de l’été, et dans la plus complète discrétion » que le secrétaire d’État chargé des transports a signé l’accord de financement avec les collectivités, notait Ouest-France, en juillet 2010. Le décret du contrat de concession fut publié le 30 décembre 2010, en pleine trêve des confiseurs.
« Vinci ne “veut” pas faire Notre-Dame-des-Landes. Vinci a été choisi par l'État pour gérer l'aéroport actuel de Nantes Atlantique et le déménager vers le site choisi par l'État et les collectivités locales pour réaliser le futur aéroport du Grand Ouest », se contente de répondre le directeur de la communication du groupe, éludant les questions précises envoyées par Mediapart.
Sa réponse est révélatrice de l’entre-soi bureaucratique qui a présidé à l’attribution de la concession de l’aéroport : une convergence d’intérêts entre une filiale en plein essor du groupe multinational et des élus bâtisseurs et dépensiers. Entre les deux, l’État a joué les arrangeurs, en calant son appel d’offres sur les capacités des entreprises candidates. Résultat : la préservation des intérêts de Vinci a fini par supplanter la protection des deniers publics et de l’intérêt général.
Cette enquête a été conduite entre le 4 et le 10 décembre. Les personnes citées ont été interrogées par téléphone ou en présence. Contacté le 6 décembre par email, le groupe Vinci a répondu quelques heures plus tard par l'intermédiaire de son directeur de la communication sans répondre aux questions posées.
SOURCE / MEDIAPART