Après la révolution, les blogueurs tunisiens cherchent leur place


Par ELODIE AUFFRAY correspondante à Tunis


La blogueuse Lina Ben Mhenni aux troisièmes rencontres des blogueurs arabes, qui se tiennent à Tunis cette semaine. (E.A.)

Tunis accueille cette semaine la troisième rencontre des blogueurs arabes. Tout un symbole, pour ce pays longtemps classé «ennemi d'internet» par Reporters sans frontières, et qui a lancé le souffle du «printemps arabe». Libérée de Ben Ali, voilà la Tunisie refuge d'une centaine de cybermilitants - égyptiens, irakiens, libyens, saoudiens, syriens, etc.-, venus pour échanger la riche expérience accumulée cette année et continuer de fourbir leurs armes contre les régimes autoritaires.

«Cette édition est un peu spéciale, souligne Dorine Khoury, de la fondation Heinrich Boell, initiatrice de ces rencontres avec le site contributif Global voices et Nawaat, à la pointe du cyberactivisme tunisien. Certains sont encore en train de rendre compte de leur révolution. D'autres l'ont connue et doivent redéfinir leur rôle.»

C'est le cas des hôtes tunisiens. Pour eux, la levée de la censure n'a pas signé l'arrêt des combats. «Il faut continuer la bataille pour avoir une vraie démocratie. Il n'y a qu'à voir les violences policières qui se poursuivent», considère Lina Ben Mhenni. La jeune femme, l'une des seules à avoir osé bloguer à visage découvert en pleine révolution, est aujourd'hui l'une des figures du cyber-printemps arabe en lice pour le Prix Nobel de la paix, décerné vendredi. «Surprise et honorée», elle est aussi épuisée des attaques dont elle est l'objet sur la toile depuis le 14 janvier, et qui ont redoublé à l'annonce de sa nomination.

Chamailleries

Après la révolution, la solidarité dans la lutte contre le système a volé en éclats, pour laisser la place «aux attaques personnelles et aux chamailleries», regrette Sofiène Belhaj. Anciennement connu sous le pseudo d'Hamadi Kaloutcha, arrêté début janvier pour ses activités sur Facebook, il est aujourd'hui membre de la Haute instance pour les objectifs de la révolution.

«Notre terrain de jeu favori a complètement changé, poursuit-il. Avant le 14 janvier, nous étions le petit vacarme au milieu du silence. Nous avions appris à croiser, à vérifier nos informations. Depuis, c'est devenu facile de parler, ce qui a laissé la place à un flot de révolutionnaires de la 25e heure, aux fausses informations et aux rumeurs. Nous, on n'arrive plus à se faire entendre», explique ce belgo-tunisien de 28 ans. Avec une dizaine d'autres «anciennes têtes brûlées», il a déposé les statuts pour créer une association de blogueurs tunisiens, aux objectifs multiples. «On veut professionnaliser notre activité, proposer des formations vidéos, être une instance de soutien si des blogueurs sont dans la mouise, mettre en place une sorte de label pour distinguer les sources fiables», énumère-t-il. «Avant, notre activité était très spontanée. Aujourd'hui on essaie de s'institutionnaliser, ce n'est pas évident.»

Nawaat a déjà bien avancé sur cette voie. Le collectif est devenu officiellement association. Il travaille désormais à essaimer son savoir-faire dans  plusieurs maisons de jeunes, par des formations au journalisme citoyen. Un nouveau site, dédié aux régions, devrait aussi bientôt voir le jour.

«Nous avons également lancé une campagne pour remettre la question des blessés de la révolution sur la table. Beaucoup sont pauvres et ne sont pas pris en charge médicalement. Nous avons mobilisés des médecins, des associations, pour les recenser et coordonner l'aide», explique Malek Khadhraoui, l'un des quatre fondateurs. Installé en France depuis quinze ans, il a rejoint la Tunisie au printemps.

Sept blogueurs candidats

Les blogueurs tunisiens se sont même invités dans la bataille pour l'assemblée constituante. Parmi les 11.000 candidats à l'élection, qui aura lieu le 23 octobre, sept blogueurs se présentent sur des listes non-partisanes. A l'image de Riadh Guerfali, de Nawaat: «Notre objectif, en tant que blogueurs, était aussi de changer le monde autour de nous, de militer pour des institutions démocratiques. Nous gardons les mêmes valeurs», entame-t-il sur scène, lors du débat organisé à l'ouverture de la rencontre.

Aux côtés des candidats, Slim Amamou, figure de la lutte contre la censure. Arrêté lui aussi le 6 janvier, promu secrétaire d'Etat à la Jeunesse juste après le départ de Ben Ali, il n'a pas déserté le terrain politique après sa démission en mai: le voilà, expose-t-il, «qui consacre son temps à aider les listes d'indépendants», notamment pour leur communication, au travers de l'initiative Afkar Mostakella. Objectif: «Assurer une représentation diverse au sein de la constituante», défend le jeune militant.

Un combat les rassemble: le possible retour d'«Ammar 404», comprendre la censure. Au nom des «valeurs arabo-musulmanes», des avocats ont déposé plainte contre l'Agence tunisienne d'internet, anciens «ciseaux» de Ben Ali, pour la contraindre à filtrer les sites pornos. Révolution dans la révolution: c'est désormais l'agence qui refuse d'appliquer la décision de justice, jusqu'à se pourvoir en cassation. Son jeune PDG, Moez Chakchouk, est même venu s'en expliquer devant les blogueurs. «Historique», se réjouit Riadh Guerfali.

 

Source : Libération

Tag(s) : #Monde arabe - Israël
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